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Covid-19 : l’interdiction de manifester suspendue par le Conseil d'État

Public - Droit public général
16/06/2020
Dans une ordonnance rendue le 13 juin, le Conseil d’État a suspendu l’interdiction des manifestations, découlant de l’interdiction des rassemblements et réunions prévue par l’article 3 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
À la suite de plusieurs manifestations non autorisées ayant eu lieu ces dernières semaines, le juge des référés du Conseil d’État a été saisi, notamment, par la Ligue des droits de l’Homme, d’une demande de suspension de l’article 3 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, demande à laquelle se sont associés divers syndicats dont la Confédération générale du travail ou le syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ainsi que l’association SOS Racisme.
 
Les requérants estimaient que les dispositions contestées, en interdisant les manifestations, portaient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion et à la liberté de manifester.
 
L’article litigieux dispose que « tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République ». Des exceptions sont prévues, concernant notamment les services de transport de voyageurs. Les requérants contestaient le fait qu’aucune exception ne soit prévue pour « les manifestations ou rassemblements dans l’espace public visant à l’expression collective des idées et des opinions, notamment syndicales ».
 
Le Conseil d’État, dans sa décision rendue le 13 juin (CE, ord., 13 juin 2020, nos 440846, 440856, 441015), rappelle que la liberté de manifester constitue bien une liberté fondamentale, en indiquant que « la liberté d’expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la (CEDH) et dont découle le droit d’expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ». Il ajoute que « son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect d’autres droits et libertés constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article, tels que la liberté syndicale ».
 
La Haute cour rappelle toutefois que l’exercice de la liberté de manifester « doit cependant être concilié avec le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et avec le maintien de l’ordre public ».
 
Sur la légalité de l’interdiction de manifester, le ministre des solidarités et de la santé avait fait valoir que ces rassemblements ne permettaient pas de garantir l’application des mesures barrières et que l’interdiction n’était ni générale ni absolue dans la mesure où elle pouvait recevoir des dérogations.
 
Le Conseil d’État estime toutefois que même si le respect des mesures barrières peut s’avérer complexe lors de manifestations, il n’est pas « impossible en toute circonstance, sur l’ensemble du territoire de la République et pour toute manifestation, qu’elle qu’en soit la forme ».
 
Il rappelle également, en s’appuyant sur les recommandations du Haut conseil de la Santé publique, l’avis du conseil scientifique et les données de Santé Publique France, qu’aucune restriction de principe n’est posée à la liberté d’aller et venir et qu’aucune reprise de l’épidémie n’a été constatée. Ainsi, selon la Haute cour « l’interdiction des manifestations sur la voie publique (…) ne peut (…) sauf circonstances particulières, être regardée comme strictement proportionnée aux risques sanitaires désormais encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu » que si les mesures barrières ou la limitation à 5 000 personnes ne peuvent être respectées.
 
 
Sur la possibilité de dérogation invoquée par le ministre, le Conseil rappelle qu’elle n’a jamais été mise en œuvre, et que plusieurs manifestations se sont tenues malgré l’interdiction, sans qu’aucun échange n’ait eu lieu entre les organisateurs et l’administration.
 
Il en conclut que l’interdiction posée au I de l’article 3 du décret du 31 mai 2020 « ne peut, à ce jour, être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l’objectif de préservation de la santé publique qu’elle poursuit ».
 
Par conséquent, la disposition contestée constituant bien une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le Conseil d’État prononce la suspension de son exécution.
 
 
 
Le décret n° 2020-274 du 14 juin 2020, publié au Journal officiel du 15 juin, tire les conséquences de l’ordonnance du Conseil d’État, en mettant fin à l’interdiction de manifester. Une exception à l’interdiction des rassemblements prévue à l’article 3 du décret du 31 mai 2020 est ajoutée.
 
Il est désormais prévu au II bis de cet article : « Par dérogation aux dispositions du I et sans préjudice de l'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure, les cortèges, défilés et rassemblement de personnes, et, d'une façon générale, toutes les manifestations sur la voie publique mentionnés au premier alinéa de l'article L. 211-1 du même code sont autorisés par le préfet de département si les conditions de leur organisation sont propres à garantir le respect des dispositions de l'article 1er du présent décret ». (v. Covid-19 : toute la France métropolitaine passe en zone verte, Actualités du droit, 15 juin 2020).
Source : Actualités du droit