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Clause testamentaire réputée non écrite pour atteinte au droit de demander le partage

Civil - Personnes et famille/patrimoine
12/09/2016
Rédigé sous la direction de Maître Marceau CLERMON, notaire
En partenariat avec le Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine

Par un arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation est venue tempérer les volontés d’un testateur, au titre qu’elles portaient atteinte au droit « absolu » de demander le partage. Une considération qui semble, une nouvelle fois, affaiblir la clause pénale testamentaire.
Parfois effet de mode, la clause pénale testamentaire se révèle être un outil efficace afin d’assurer la bonne exécution des souhaits exprimés dans un testament. Classiquement, son effectivité était relativement pérenne, la seule contrainte s’exprimant en les termes de l’article 900 du Code civil, à savoir que les conditions impossibles et dispositions contraires aux lois et aux mœurs sont réputées non écrites.

Plus généralement, insérée dans un testament, la clause pénale est licite dès lors qu’elle n’entre pas en contrariété avec une règle d’ordre public, et qu’elle entend simplement assurer l’exécution, pour un testateur, de ses volontés testamentaires qui ne porteraient atteinte qu’aux intérêts privés des héritiers (Cass. civ., 25 févr. 1925, DP 1925, 1, 185, note Savatier R.).
 

Rappel des faits


Germaine X décède le 17 décembre 1993 laissant pour lui succéder ses deux fils, Jacques et Michel. Elle avait rédigé un testament dans lequel elle souhaitait, si le partage de ses biens n’était pas réalisé à l’amiable, réduire les droits à la seule réserve de celui de ses fils qui demanderait le partage judiciaire. Vingt années après son décès, et à défaut d’obtenir un partage amiable d’un immeuble indivis, l’un des fils assigne son frère en partage.

Le partage est ordonné par les juges du fond. La Cour d’appel a, de plus, considéré que la clause pénale devait être réputée non écrite car de nature à interdire la cessation de l’indivision.

Un pourvoi en cassation est alors formé. La position de son auteur fut d’arguer d’une violation des articles 815 et 900 du Code civil, en ce sens que la clause n’interdit aucunement aux héritiers de demander le partage judiciaire. Simplement, leurs droits ne seraient que réduits à la seule réserve héréditaire.

La Cour de cassation décide de suivre la position des juges du fond, et poursuit en jugeant qu’une telle clause testamentaire constituait une atteinte excessive au droit de demander le partage reconnu à tout indivisaire, constatant « qu’en dépit des partages partiels intervenus, les immeubles étaient indivis depuis plus de vingt ans, la cour d’appel a pu décider que cette clause, qui avait pour effet de porter une atteinte excessive au droit absolu, reconnu à tout indivisaire, de demander le partage, devait être réputée non écrite… ».

Par ces termes, les hauts magistrats semblent apprécier la portée de la clause testamentaire en fonction des conséquences qu’elle engendre, s’inscrivant dans un nouveau fondement pour juger de l’effectivité d’une pénalité testamentaire, celui d’une certaine proportionnalité.


Une atteinte jugée excessive


Une légère évolution de la jurisprudence avait déjà été amorcée, la clause testamentaire était alors réputée non écrite en cas d’atteinte effective à la réserve héréditaire (Cass. 1re civ., 25 juin 2002, n° 00-11.574Dr. famille 2003, 18, note Beignier ; Bull. civ. I, n° 175, p. 134 ; JCP G 2002 , IV, 2420 ; D. 2003 , somm. 1875, obs. Nicod).
Les juges du droit font place à la distinction, qu’ils estimaient nécessaire, entre l’atteinte effective à la réserve et l’atteinte simplement éventuelle, laissant ainsi penser que l’on pourrait valider la clause testamentaire dont l’atteinte à la réserve ne serait qu’hypothétique.
Partant d’un tel fondement qu’est la réserve héréditaire pour faire douter de l’efficience de la clause pénale, la Cour de cassation a jeté un pavé dans la mare, qu’elle n’a visiblement jamais eu l’intention de venir repêcher.
  

     > Cet article fait partie du dossier spécial Patrimoine 2016


  

Une proportionnalité au regard du droit européen


La Cour de cassation est récemment allée encore plus loin (Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, n° 14-29.285), à propos d’une donation-partage dans laquelle était stipulée qu’en cas de contestation par l’un des donataires, celui-ci serait privé, non pas de sa réserve, mais de sa quotité disponible. Les juges du fond avaient retenu que l’assignation en dol entrainant la remise en cause du partage, elle procédait d’une contestation au titre de laquelle la sanction testamentaire devait jouer. Le raisonnement de la Cour d’appel n’avait rien d’original, ni de surprenant, au regard de la jurisprudence, jusque-là ferme, sur des questions « rarement débattue(s) » (Beignier B., Dr. famille n° 2, févr. 2003, comm. 18). Néanmoins, les hauts magistrats cassent et annulent l’arrêt, lui reprochant de ne pas avoir recherché si la clause litigieuse ne portait pas atteinte au droit d’agir en justice, conformément à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cet arrêt met en lumière le nouveau terrain de jeu de la Cour de cassation, autrefois réservé aux juges du fond, à savoir le contrôle de proportionnalité. L’arrêt commenté permet à la Cour de lier la contestation au regard du droit européen, sur le fondement - solide - qu’est l’atteinte au droit « absolu » de demander le partage.
 

L’ordre public délaissé au nom d’une nécessaire proportionnalité


Se pose alors la question de la portée de l’arrêt commenté. Qu’a voulu faire la Haute juridiction ? Protéger l’ordre public et le droit « absolu » de demander le partage conformément à l’article 815 du Code civil, ou confirmer, selon le Professeur Jean Nicod, « l’existence d’un seuil d’excès à partir duquel une pénalité testamentaire peut être effacée par le juge » (Dr. famille n° 7-8, juill. 2016, comm. 152) ?

Sans nul doute, son arrêt suit la ligne jurisprudentielle développée en 2002 et complétée en 2015, rendant par conséquent quelque peu friable la clause pénale.

Mais cette jurisprudence semble instable, tant elle apprécie l’atteinte au droit de demander le partage au regard du fait que, malgré les partages amiables partiels opérés jusqu’alors, les biens étaient demeurés en indivision depuis plus de vingt ans. C’était d’ailleurs le point d’ancrage du seuil, à partir duquel juger l’excès. Qu’aurait été la position des juges du droit si le partage judiciaire avait été demandé peu après le décès du testateur ? 
 

Le rôle du conseil


L’effectivité du testament s’appréciant après la mort de son auteur, le danger pour le conseil réside dans l’absence de conséquences immédiates du testament sur la détention ou l’administration des biens légués. Confrontée à une telle demande du client, le notaire se doit d’appréhender l’éventuelle invalidité de la disposition testamentaire.

On pourrait alors imaginer des clauses pénales de non-contestation du partage à degrés. Il serait question ici de mettre en avant la prise en compte de ce seuil à partir duquel la contrariété à un droit, qu’il soit d’ordre public ou non, se justifie par la volonté du testateur. Au même titre que le caractère temporaire de l’inaliénabilité, souvent stipulée au sein de libéralités, il pourrait être opportun de prévoir une clause pénale à caractère temporaire, ou un encadrement plus clair de l’utilisation des biens donnés au sein même du testament. Un nouvel enjeu pour les conseils a vraisemblablement vu le jour, celui de sécuriser au maximum le respect des volontés testamentaires de leurs clients.
Source : Actualités du droit