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Procédure de saisie de stupéfiants en haute-mer : habilitation du commandant du navire de la Marine nationale et régularité de la notification des ordonnances du JLD

Pénal - Procédure pénale
Transport - Mer/voies navigables
19/11/2019

► Le commandant d’un navire de la Marine nationale est habilité, en raison de ses seules fonctions, comme tous les commandants des bâtiments de l’Etat, et sans qu’il ait besoin d’une habilitation spéciale, à arraisonner et faire procéder à la visite et à la fouille d’un voilier, ainsi qu’à la saisie des produits stupéfiants s’y trouvant ;

cette procédure de saisie est par ailleurs régulière dès lors que l’information a été donnée au procureur et que les actes de police judiciaire ont été accomplis par des officiers habilités du navire et les OPJ présents.

C’est ainsi que statue la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 14 novembre 2019 (Cass. crim., 14 novembre 2019, n° 18-82.324, FS-P+B+I).

Résumé des faits. Dans cette affaire, les autorités françaises, suspectant un transport de stupéfiants, ont demandé aux autorités britanniques, Etat du pavillon, conformément à l’article 17 de la Convention des Nations-Unies contre le trafic des stupéfiants et des substances psychotropes, conclue à Vienne, le 20 décembre 1988, de se dessaisir de leur compétence juridictionnelle relative aux infractions de trafic de stupéfiants pouvant être constatées à bord de ce navire. Les autorités britanniques, conformément à l’article 17 précité, ont autorisé les autorités françaises à arraisonner le navire dans les eaux internationales, et à le visiter, indiquant qu’elles abandonneraient leur compétence juridictionnelle au profit des autorités françaises dans le cas où des stupéfiants seraient découverts à bord.

Le navire a été arraisonné et visité en haute-mer, au large des îles Tonga, par l’équipage d’une frégate de la Marine nationale. Une quantité de 1 438 kg de cocaïne pure a été découverte à bord du voilier. Une enquête judiciaire a alors été ouverte. Le voilier a été dérouté vers Nouméa et les membres de son équipage ont fait l’objet d’une mesure de privation de liberté prolongée par le JLD, jusqu’à leur arrivée à Nouméa.

Ils ont été traduits devant le tribunal correctionnel de Nouméa devant lequel ils ont contesté la régularité de la procédure. Par jugement du 17 novembre 2017, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité et reconnu les prévenus coupables. Les demandeurs ont relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public.

En cause d’appel. Les prévenus ont soulevé la nullité de la procédure en raison de l’absence d’habilitation spéciale du commandant du navire, ainsi que celle des ordonnances du JLD prolongeant les mesures de privation de liberté, faute de notification dans une langue comprise par eux.

Pour rejeter la première exception de nullité, la cour d’appel retient que les mesures ont été accomplies selon les modalités de l’article 14 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994, qui prévoit les prérogatives du commandant d’un navire de la Marine nationale. Les juges relèvent que ce texte ne nécessite pas une information préalable du procureur de la République, ni une habilitation particulière du commandant du navire. Ils relèvent également que les mesures conservatoires ont été régulièrement accomplies et qu’elles précédaient l’ouverture d’une enquête pénale, laquelle, conformément à l’autorisation de l’Etat du pavillon, ne pouvait intervenir qu’après la découverte de la drogue. De plus, dès la découverte des stupéfiants à bord, les dispositions de l’article 16 de la loi précitée du 15 juillet 1994 ont reçu application, le procureur de la République à Nouméa ayant immédiatement été informé de la découverte et des mesures de coercition mises en oeuvre, ce qui l’a conduit à ordonner l’ouverture d’une enquête de flagrant délit, qui a été aussitôt mise en oeuvre par les enquêteurs présents sur la frégate.

S’agissant de la seconde exception de nullité, les juges retiennent que la notification de ces ordonnances n’est pas prescrite à peine de nullité, laquelle ne peut être prononcée que si la personne qui l’invoque démontre que l’irrégularité lui a fait grief. L’arrêt ajoute qu’il était matériellement impossible, pour la Marine nationale, de faire traduire ces ordonnances dans la langue des prévenus. Il relève que les droits des prévenus n’ont pas été méconnus pendant leur privation de liberté (examen par un médecin quotidiennement, communication avec l’équipage) et que le JLD, qui a reçu les certificats médicaux établissant leur aptitude à la mesure de privation de liberté, a prolongé celle-ci par des ordonnances régulièrement transmises, les prévenus n’ayant formulé aucune observation sur le cahier de rétention à leur disposition, et qu’aucun grief ne résulte pour eux de l’absence de notification de ces ordonnances, insusceptibles de recours. Un pourvoi a été formé par les prévenus.

Rejet du pourvoi. Reprenant la solution susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Sur la question de la régularité de la procédure, elle considère qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision. Sur la régularité de la notification des ordonnances, elle énonce que «dès lors que l’existence et la régularité des ordonnances en cause ne sont pas contestées, et que les demandeurs ne soutiennent pas qu’ils ignoraient les raisons de leur arrestation et de leur retenue à bord du [...]», la cour d’appel a justifié sa décision.

 

June Perot

Source : Actualités du droit