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Dix organisations dénoncent l’insuffisance du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale

Affaires - Pénal des affaires
Pénal - Procédure pénale
23/07/2018
Dans un communiqué de presse commun publié le 20 juillet 2018, plusieurs organisations de la société civile dénoncent l’insuffisance du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et invitent les députés à le corriger avant son adoption définitive.
Le projet de loi, adopté en première lecture par le Sénat le 3 juillet dernier, sera examiné par la commission des Finances de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2018.

Dix organisations (Anticor, Attac, CCFD-Terre solidaire, Confédération générale du travail, Observatoire citoyen pour la transparence financière internationale, One, Oxfam, Sherpa, Survie, Syndicat de la magistrature) dénoncent un projet qu’elles estiment « très modeste dans son ambition » et ne permettant pas de lutter efficacement contre la fraude fiscale. Sont notamment dénoncés : le refus de supprimer le verrou de Bercy, indispensable selon le collectif, puisque sans cette suppression, de nombreuses dispositions du texte resteront sans effet, faute de poursuites ; le manque de moyens de l’administration fiscale et de la justice, qui voient leur mission, essentielle dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, fragilisée.
Par ailleurs, aucune disposition n’est prévue pour lutter contre l’évasion fiscale, qui contribue pourtant aux plus grandes pertes fiscales pour les États.

Ces dix organisations spécialistes des questions fiscales ont analysé le projet de loi et formulé des propositions de modification à destination du gouvernement et des députés, dans le but de renforcer sa portée et son efficacité.

Recommandations

Elles recommandent de modifier sept aspects du projet de loi :

1. Création d’une seconde police fiscale rattachée à Bercy
Selon le collectif, le projet « ne fait que changer la répartition des pouvoirs entre le ministère du Budget et le ministère de l’Intérieur ». Le texte ne propose pas de mesures concrètes, alors même que des pistes intéressantes ont été proposées lors des discussions (comme l’hypothèse de la création d’un service similaire au Service national de douane judiciaire).

2. Aggravation de la répression pénale de la fraude fiscale
Le projet de loi rend la publicité des sanctions pénales obligatoire et aggrave les peines d’amende encourues pour les délits de fraude fiscale. Ces deux dispositions ont toutefois une portée limitée, du fait que les poursuites pénales pour les fraudes les plus graves sont loin d’être systématiques. Ces mesures sont donc privées de leur plein effet.

3. Renforcement des sanctions administratives, au détriment des poursuites pénales
Le projet prévoit :
– pour les personnes morales et en l’absence de poursuites pénales, la publicité des amendes fiscales infligées lors d’un contrôle pour les fraudes les plus graves ;
– en l’absence de poursuites pénales, les intermédiaires complices de fraude fiscale seront passibles d‘une sanction pécuniaire.

Si ces deux mesures sont positives dans le sens où elles proposent des sanctions plus sévères et dissuasives, elles pourraient en fait permettre de contourner les poursuites pénales. En effet, leur mise en œuvre est prévue pour des cas graves, qui devraient faire l’objet de poursuites pénales, et non d’une simple sanction administrative. Ces mesures pourraient donc avoir pour effet de réduire le nombre de plaintes pénales dans des dossiers graves, puisque l’administration fiscale disposerait des outils afin de prendre des mesures sans recourir à l’autorité judiciaire.

4. Extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (« plaider-coupable »)
Cette extension n’a été prévue que dans un souci d’économie budgétaire, qui conduirait « à un affaiblissement de la répression pénale de la fraude fiscale et donc de la dissuasion en matière de fraude ». Selon les organisations, elle devrait donc être supprimée.

5. Extension de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale (CJIP)
Les entreprises poursuivies pour fraude fiscale pourraient ainsi passer une convention transactionnelle validée par le juge et payer une amende sans que leur culpabilité ne soit reconnue. Le collectif dénonce la mise en place d’un « nouveau système de justice à deux vitesses », permettant « à des sociétés responsables de fraudes d’ampleur de conserver tous les bénéfices de l’innocence et de continuer à candidater à des marchés publics, contre le versement d’une amende qui ne pourra, par définition, jamais être dissuasive ». Les organisations recommandent ici encore une suppression pure et simple de la mesure.

6. Transposition de la liste noire européenne des paradis fiscaux
La transposition de cette liste n’aura pas de réel intérêt, puisqu’elle exclut des pays membres de l’Union européenne, parmi lesquels se trouvent d’importants paradis fiscaux.

7. Aménagement du monopole du ministère des Finances pour l’ouverture d’enquête pour fraude fiscale, dit « verrou de Bercy »
Selon le groupe, le verrou de Bercy permet une impunité fiscale nuisant à la dissuasion et nourrissant le sentiment d’une justice à deux vitesses. Il préconise donc une suppression de cette mesure. Cependant, reprenant le projet de loi, qui apporte des aménagements insuffisants, il propose trois mesures principales permettant d’aménager le verrou de Bercy de façon plus efficace :
- inscrire dans la loi des critères d’examen du dossier par la justice sur les droits éludés et le caractère aggravant de la fraude ;
- garantir un examen conjoint par l’administration fiscale et la justice des dossiers ainsi sélectionnés, en laissant le dernier mot au parquet ;
- permettre à la justice de s’autosaisir pour les cas connexes qu’elle rencontre.

Ajouts

Le collectif ajoute par ailleurs deux thèmes non prévus par le projet, afin de le rendre réellement ambitieux dans la lutte contre la fraude fiscale :

1. Transposition de la cinquième directive anti-blanchiment quant aux registres de bénéficiaires effectifs des sociétés et des trusts
Afin de mettre un terme aux sociétés-écrans, le projet de loi serait l’occasion de transposer la cinquième directive anti-blanchiment introduisant le registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés, et de rendre ce registre accessible aux acteurs concernés (associations de lutte contre la corruption, les flux financiers illicites et l’évasion fiscale, journalistes, parlementaires).

2. Élargissement de la notion d’abus de droit
Le collectif propose enfin une redéfinition de l’abus de l’abus de droit conforme à la notion définie dans la directive européenne « ATAD ». Il propose de plus un élargissement de la notion aux « montages ayant pour objectif principal d’obtenir un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable ».
Source : Actualités du droit