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Présidentielle 2017 - Benoît Hamon, candidat du PS : « Je veux rattraper les autres grands pays européens en matière de niveau budgétaire consacré à la justice »

Pénal - Vie judiciaire
20/04/2017
Modernisation et simplification de la justice, juste rémunération des avocats, égal accès à la justice, réforme du Conseil supérieur de la magistrature, alternatives à la prison… Le candidat du Parti socialiste détaille, pour Actualités du droit, ses propositions en matière de justice.
 
Actualités du droit : Quels moyens et quelles solutions comptez-vous mettre en œuvre pour améliorer le fonctionnement de la justice ?

Benoît Hamon : Le renforcement des services publics est au cœur de mon projet. Ils sont au cœur de la promesse républicaine, garantissant à chacune et chacun, dans tous les territoires, l’égalité réelle, la protection sociale, la sécurité, la redistribution des richesses et en premier lieu la justice.
Le service public de la justice est sinistré. Le constat est partagé par tous. Paupérisée par dix années de gouvernement de droite, l’augmentation pourtant conséquente des moyens depuis 2012 n’aura pas suffi à réparer les dégâts. Le budget de la justice reste insuffisant et la situation dans les juridictions est alarmante. Ce manque de moyens impacte non seulement les professionnels dont beaucoup sont en souffrance mais également les justiciables, à travers les délais d’audience notamment.
Je veux poursuivre l’effort engagé sur la dernière législature pour rattraper le niveau budgétaire consacré à la justice par les autres grands pays européens. Elle doit être proche, accessible, rapide.
L’engorgement des juridictions a des conséquences graves, notamment en terme de délais, et on peut imaginer sans peine les situations humaines difficiles qu’elle entraîne, pour les professionnels comme pour les justiciables. C’est une situation qui contribue à la perte de confiance de nos concitoyens dans leur justice. Répondre à cette question passe essentiellement par les moyens, notamment humains. Sont concernés les magistrats bien sûr, mais également les greffiers, rouages essentiels de l’institution judiciaire.
Au-delà, je veux poursuivre la modernisation et la simplification de la justice. Tous les outils numériques qui pourraient faciliter l’accès des justiciables ou le travail des professionnels doivent pouvoir être mis en place. Une réflexion avec l’ensemble des professionnels doit être engagée pour permettre d’améliorer, de simplifier et de raccourcir toutes les procédures, sans que ces dernières perdent en qualité. Le développement et l’extension de l’action de groupe que je préconise peuvent également contribuer à réduire les recours individuels.
Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges est également une voie. Le recours à ces modes alternatifs est bénéfique s’il est choisi, assumé, possible et si chacune des parties dispose d’un égal accès à l’information de ses droits et à la possibilité de saisir l’autorité judiciaire si cela est nécessaire. Il ne doit pas être vécu comme une privation du recours au juge, qui reste nécessaire au règlement de certains conflits. Dans cet objectif, il est important de renforcer et diversifier les modalités d’accès au droit. C’est dans cet état d’esprit que doit être pensé le développement de ces alternatives. C’est également cet état d’esprit qui doit prévaloir à toute réflexion sur la déjudiciarisation de certaines procédures.
 
AdD : Quelles sont vos propositions pour améliorer l’aide juridictionnelle, gage d’accès à la justice pour de nombreux citoyens ?

B. H. : L’aide juridictionnelle est un élément clé du service public de la justice. Les conditions de ressources en empêchent un trop grand nombre de nos concitoyens modestes de faire valoir leurs droits. Garantir l’égalité d’accès à la justice est au cœur de mes préoccupations. Je veux saluer ici l’action menée depuis 2012 sur ce sujet, notamment par Christiane Taubira. Un premier accord, conclu avec les avocats en 2015, a permis d’élargir l’accès à l’aide juridictionnelle à 100 000 personnes supplémentaires. Il a également permis une revalorisation de l’unité de valeur, qui n’avait pas été réévaluée depuis 2007, de plus de 12%. C’est important car la question de la juste rémunération des auxiliaires de justice, en grande majorité des avocats est un enjeu majeur pour que l’aide juridictionnelle prenne tout son sens en terme d’égalité. Ce n’était qu’une première étape. Je veux pouvoir élargir encore son accès pour permettre une égalité réelle et que la question des moyens ne soit plus un frein. Nous devons également avancer encore pour garantir une juste rémunération aux avocats. C’est important, c’est un enjeu majeur pour que l’aide juridictionnelle prenne tout son sens en terme d’égalité. Les avocats qui assurent cette mission d’intérêt général ne sont pas rémunérés encore à la hauteur du travail fourni.
Le point le plus crucial est celui du financement. Laissée à l’abandon pendant dix ans, l’aide juridictionnelle a vu son budget augmenter considérablement ces cinq dernières années, passant de 275 millions d’euros en 2010 à 375 en 2015 et augmentant encore de 12% pour 2017. Pour les années à venir, il devra continuer à être revalorisé régulièrement. L’Etat est le garant de l’égalité d’accès à la justice et a vocation à le rester. Pour autant, d’autres pistes de financement existent et sont à explorer. La réflexion doit se poursuivre entre l’Etat et les professionnels de manière à mettre en place un dispositif pérenne et juste.

AdD : Comptez-vous réformer le Conseil supérieur de la magistrature de manière à garantir l’indépendance des magistrats du parquet vis-à-vis de l’exécutif ?

B. H. : Un projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a été initié en 2013. Il nécessitait une révision constitutionnelle. La droite l’a fait échouer. Cette réforme est pourtant indispensable. Elle contribuera à asseoir l’indépendance des magistrats, et donc l’impartialité de la justice.
Je veux proscrire toute nomination partisane : les membres non-magistrats seront nommés par un collège composé de personnalités indépendantes et faisant autorité. L’élection du président du CSM par l’ensemble de ses membres parmi les personnalités extérieures me semble en outre constituer un gage supplémentaire de l’indépendance du CSM.
Je veux que le CSM dispose de moyens et de compétences élargies. Son avis conforme doit devenir obligatoire pour toutes les nominations des magistrats du parquet et leur régime disciplinaire doit être aligné sur celui des magistrats du siège, ce qui implique que les sanctions soient prononcées par le CSM et non par le Garde des sceaux. En outre, je propose d’ouvrir une réflexion sur un pouvoir de proposition du CSM pour l’ensemble des nominations de magistrats.
 
AdD : Quelles mesures prévoyez-vous de mettre en place pour réduire la population carcérale et mieux prévenir la récidive, plus particulièrement des jeunes délinquants ?

B. H. : Notre modèle du tout carcéral est à bout de souffle. Nous venons à nouveau d’atteindre un niveau record du nombre de détenus. Nos prisons sont pleines et ne remplissent pas l’objectif de prévention de la récidive. La privation de liberté n’est pas la seule réponse, les alternatives sont parfois la meilleure manière pour que quelqu’un comprenne le sens de sa faute et de sa punition. Je veux permettre l’application effective de la réforme mise en place par Christiane Taubira et encourager les alternatives, en particulier pour les peines de moins de six mois. Pour que ces solutions soient efficaces, les moyens des SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation) doivent être renforcés. Les conditions de détention sont l’une des clés de la réussite de la politique pénale et de la réinsertion. Il est indispensable de poursuivre les efforts menés pour incarcérer dans de meilleures conditions avec un programme immobilier pénitentiaire innovant dans ses formes pour favoriser la réinsertion et tendre vers l’encellulement individuel.
S’agissant des jeunes, il est de notre responsabilité de ne pas se résigner à les laisser dériver vers la délinquance. Je veux préserver la spécificité de la justice des mineurs et réaffirmer la primauté de l’éducatif sur le répressif, plus efficace dans la lutte contre la récidive. Nous devons raccourcir les délais de mise en œuvre des mesures décidées par la justice et donner, pour cela, les moyens suffisants. Le dispositif des établissements et services de la protection judiciaire de la jeunesse doit permettre une prise en charge adaptée et rapide.
Je propose enfin d’inscrire ces jeunes dans un parcours éducatif qui s’inscrive dans la durée quelles que soient les solutions de placement ou les mesures décidées par la justice. La primauté de l’éducatif ne doit pas être un vain mot mais redevenir une réalité.

Propos recueillis par Cécilie Blanc
Source : Actualités du droit