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Un projet de loi dédié à la Douane : vers le futur article 60 relatif au droit de visite et au-delà

Transport - Douane
Affaires - Pénal des affaires
03/04/2023
Le projet de loi « concernant la mise en conformité du droit de visite douanière et la modernisation de l’action de la Douane » a été présenté le 3 avril 2023 à Bercy : premiers éléments sur l’esprit du texte, notamment la nouvelle version de l’article 60 du Code des douanes – qui n’est pas le seul concerné au titre des contrôles ! –, et sur d’autres contenus opérationnels : adaptation/modernisation des prérogatives des agents, aggravation de certaines sanctions et recodification dudit code.
Pour mémoire, le 22 septembre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré incompatible avec la Constitution l’article 60 du Code des douanes relatif au droit de visite des agents, tout en reportant l’effet de sa décision au 1er septembre 2023 (voir Droit de visite de l’article 60 du Code des douanes : inconstitutionnel, Actualités du droit, 23 sept. 2022). Après une tentative infructueuse de réécriture de l’article 60 via une loi de finances (voir LF pour 2023 et Code des douanes, Actualités du droit, 2 janv. 2023), la Douane annonçait en début d’année une nouvelle rédaction à venir de l’article (voir Maitrise du risque et compliance au Symposium Douane de Class Export, Actualités du droit, 3 févr. 2023). Répondant manifestement à une inquiétude des douaniers chargés du contrôle s’agissant d’un des fondements de celui-ci, le projet de loi présenté par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, le 3 avril, doit fixer le nouveau cadre législatif d’exercice du droit de visite de l’article 60. Mais le projet va aussi au-delà de cet article !
 
Pour le ministre de l’Économie, si le projet est « attendu par les douaniers » pour mettre fin à leurs inquiétudes légitimes quant à la sécurité juridique de l’exercice de leurs missions de contrôle, il a aussi pour objet « de donner une nouvelle ambition à la Douane française » pour lui permettre d’agir avec « le plus d’efficacité possible » s’agissant tant du « régime juridique » de son action que des moyens matériels et modernes mis à sa disposition (scanners, drones, outils pour la data, IA, etc.) avec un nouvel objectif stratégique de lutte contre la fraude et le blanchiment. À propos du texte, qui a été validé par le Conseil d’État et doit être présenté en Conseil des ministres le 4 avril 2023, Gabriel Attal souligne que c’est le 1er projet de loi dédié seulement à la Douane depuis 1965 (soit depuis 58 ans), alors que cette administration a connu de nombreuses révolutions depuis cette année-ci, toujours avec comme objectifs le contrôle et la facilitation du commerce international.
 
Un droit de visite « clair, efficace et opérationnel »... et surtout encadré !
 
Bruno Le Maire, qui rappelle que l’objectif de l’article 60 n’est pas remis en cause par le Conseil constitutionnel, veut « un droit de visite clair, efficace et opérationnel pour les douaniers », mais aussi « simple » d’utilisation. Il faut donc trouver un équilibre dans l’exercice de ce droit de visite qui n’a pas été revu depuis 1948 avec les garanties posées par le Conseil constitutionnel afin, selon Gabriel Attal, de préserver « l’agilité », « l’efficacité » des agents. Sur le fond, à la frontière, pas de changement ! En revanche, à l’intérieur du territoire, il faut concilier le droit de visite avec d’une part la nécessité d’une information (et pas d’une autorisation !) à destination du pouvoir judiciaire (auquel il faudra expliquer en quoi la visite est nécessaire) et d’autre part la possibilité d’un droit de visite sans information préalable du pouvoir judiciaire en cas d’urgence. Rappelant que les principes dégagés par la Cour de cassation s’agissant de l’article 60 seront pris en compte afin d’en fixer les limites, Gabriel Attal confirme que, s’agissant de la zone frontière/du rayon des douanes, il n’y aura pas de modification, mais qu’à l’intérieur du territoire l’encadrement de l’article 60 consiste d’une part en « une raison plausible de soupçon d’une infraction » et d’autre part en une « information préalable du procureur de la République » précité.
 
Dans le détail de la rédaction de l’article 60 : « de 3 lignes à 3 pages ! »
 
Selon des rédacteurs du projet, trois blocs sont à distinguer dans la nouvelle mouture de l’article 60.
 
D’abord, le lieu et la zone géographique sont définis, en rapport avec le commerce international. Sont concernés le rayon des douanes, les ports, les aéroports, les gares ferroviaires et routières internationales, les bureaux de douane (bien sûr !) et donc même les trains effectuant des liaisons internationales.
 
Ensuite, à l’intérieur du territoire douanier national (hors de la zone frontière et du rayon), l’exercice du droit de visite de cet article doit être motivé. Il s’accompagne ainsi :
  • soit d’une « raison plausible de soupçonner une infraction douanière » : on vise là le cas d’un « signalement », ou du soupçon d’une infraction sur un axe connu pour du trafic, explique Corinne Cléostrate, la sous-directrice aux affaires juridiques et lutte contre la fraude ; de plus, ajoute-t-elle, l’article cite un certain nombre d’infractions s’agissant de la circulation des « marchandises prohibées », c’est-à-dire soumises à des autorisations, licences, permis, etc., et à la présentation de ces justificatifs (il s’agit par exemple des autorisations pour les matériels de guerre, mais aussi des documents prévus pour d’autres marchandises soumises à des réglementations non douanières) ;
  • soit de l’information préalable du procureur de la République, les modalités de ladite information étant fixées localement par un protocole entre la Douane et le Parquet.
 
Enfin, les garanties issues de la jurisprudence de la Cour de cassation notamment sont intégrées/codifiées à l’article 60 : la durée des opérations qui doit s’inscrire dans un temps « strictement nécessaire » (une formulation qui, selon nous, laisse une souplesse dans son estimation que le juge devra apprécier en fonction des faits) ; le déplacement de véhicules par la Douane qui, lorsqu’ils sont transférés physiquement pour un contrôle, doit faire l’objet d’une information au procureur dans les 4 heures pour garantir le droit des personnes ; la fouille des personnes et bagages (la fouille à corps étant prohibée) ; l’absence de pouvoir général d’audition dans ce cadre. Alain Lefebvre, le chef du bureau des affaires juridiques et contentieuses à la DGDDI, confirme que les installations de stockage temporaire (IST) ou encore les régimes particuliers sont visés par l’article, et ajoute que le respect du contradictoire et le comportement attendu des opérateurs y figureront aussi.
 
Au-delà de l’article 60 : des adaptations nécessaires et une recodification
 
Au-delà du droit de visite, Gabriel Attal ajoute que le contenu du projet se veut « proactif » pour « moderniser » les pouvoirs des douaniers (la cyber délinquance est notamment visée), adapter leurs prérogatives aux modifications/évolutions qu’a connu le commerce international, et les renforcer par des « moyens juridiques supplémentaires » pour, par exemple :
  • réguler les activités des plateformes de commerce en ligne avec une palette de moyens allant de « l’incitation à la coercition » ;
  • « geler » les données hébergées sur un serveur distant (il s’agit là d’une modification qui concerne l’article 64 du Code des douanes relatif à la visite domiciliaire pour, selon le dossier de presse, « sécuriser la saisie des matériels et documents juridiques ») ;
  • retenir des fonds criminels à l’intérieur du territoire ;
  • ou renforcer « l’arsenal répressif » dans le domaine des tabacs, autrement dit aggraver les sanctions notamment en matière d’importation frauduleuse.
 
Le dossier de presse mentionne aussi :
  • qu’est étendue « à l’ensemble des délites douaniers la possibilité de confisquer les objets ayant servi à les commettre ou destinés à les commettre » ;
  • et que « le droit de visite des marchandises et des personnes tel que modifié par la loi [Ndlr : en projet] est appliqué à l’occasion de la visite des marchandises et des personnes à bord des navires », les articles 62 et 63 étant donc a priori aussi concernés.
 
Enfin, toujours dans le but d’être « proactif », le projet envisage une recodification de la partie législative du Code des douanes, une habilitation du gouvernement à cette fin étant prévue.
 
 
Source : Actualités du droit