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Hiérarchisation des moyens : pas d’application de la jurisprudence Société Eden au juge de cassation

Public - Droit public général
29/03/2023
Dans un arrêt du 15 mars 2023, le Conseil d’État a limité la portée de la jurisprudence Société Eden du 21 décembre 2018, selon laquelle le juge est tenu d’examiner en priorité les conclusions à fin d’injonction ou de respecter la hiérarchie proposée par le requérant en cas de conclusions à fin d’injonction présentées à titre principal et à titre subsidiaire. La Haute Cour a déclaré que cette solution ne s’appliquait pas au juge de cassation.
Le juge administratif pratique la technique de l’économie des moyens : n’étant pas tenu de répondre à tous les moyens, il peut décider d’en passer certains sous silence (voir Le Lamy contentieux administratif n° 775 - Hypothèses de sous-motivation admises).
 
Dans une décision Société Eden (CE, sect., 21 déc. 2018, n° 409678, Société Eden, Lebon, voir Actualités du droit 9 janv. 2019, Recours pour excès de pouvoir : le juge doit respecter une hiérarchie dans l’examen des moyens) le Conseil d’État a apporté des précisions sur la mise en œuvre de cette technique, en limitant la liberté du juge quant au choix des moyens auxquels il répond. Ainsi, la pratique de l’économie des moyens est limitée, depuis cet arrêt, par la faculté du requérant de hiérarchiser ses demandes.
 
Il a ainsi rappelé dans cette décision que « le motif par lequel la juridiction juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant elle ou des moyens d'ordre public qu'elle relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée ».
 
Il a ensuite déclaré : « lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. »
 
Le juge est donc tenu d’examiner en priorité les moyens permettant de prononcer l’injonction, et si le requérant présente des conclusions à fin d’injonction à titre principal et à titre subsidiaire, le juge est tenu de respecter cette hiérarchie.
 
Dans son arrêt du 15 mars 2023 (CE, 15 mars 2023, n° 452953, Lebon T.), le Conseil d’État vient se prononcer sur la question de l’application de cette jurisprudence Société Eden au juge de cassation saisi sur le fondement de l’article L. 821-1 du Code de justice administrative. Il répond par la négative, refusant d’étendre la jurisprudence Société Eden aux moyen de cassation. Le juge de cassation n’est donc pas tenu d’examiner en priorité les moyens pouvant donner lieu à injonction.
 
Il a ainsi rappelé dans cette décision qu’un seul moyen fondé suffisait à justifier l’annulation de la décision : « le motif par lequel la juridiction juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant elle ou des moyens d'ordre public qu'elle relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée ».
 
Il ajoute ensuite qu’il « n'est pas tenu, pour faire droit aux conclusions d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui ou ceux qu'il retient explicitement comme étant fondés, ni de se conformer à la hiérarchie de ses prétentions éventuellement faite par l'auteur du pourvoi en fonction de la cause juridique sur laquelle elles reposent ».
 
Dans ses conclusions sur l’affaire, le rapporteur public Laurent Domingo, préconisait cette solution en indiquant que l’office de juge régulateur de la juridiction administrative du Conseil d’État « commande que le choix des motifs d’annulation demeure (son) monopole ». Il rappelle que lorsque le juge pratique l’économie des moyens dans une décision, il ne la pratique pas dans l’examen du dossier, tous les moyens soulevés étant « vus et traités », et justifie également cette solution par le fait qu’il y a « entre le juge de cassation et le juge du fond une distance qu’il n’y a pas, ou qu’il y a moins, entre le juge de l’excès de pouvoir et la décision administrative ».
Source : Actualités du droit