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Conclusions à fin d’injonction en matière de travaux publics : en complément d’une demande indemnitaire

Public - Droit public général
13/04/2022
Dans un avis rendu le 12 avril 2022 publié au recueil Lebon, le Conseil d’État a déclaré que des conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à une personne publique de mettre fin à un comportement ne pouvaient être présentées de manière autonome, mais seulement en complément de conclusions indemnitaires.
Le tribunal administratif de Pau était saisi par une société d’une demande de condamnation d’une commune et d’un syndicat intercommunal à procéder à des travaux d’installation d’équipements sur le réseau d’eau et au nettoyage d’un cours d’eau. Avant de se prononcer, tribunal saisit le Conseil d’État de deux questions.
 
Absence de conclusions à fin d’indemnisation
 
La première était de savoir si le juge administratif pouvait, en matière de dommages d’ouvrages ou de travaux publics « mettre en œuvre ses pouvoirs d'injonction, en l'absence de toute conclusion aux fins d'indemnité […] en matière de responsabilité pour faute, notamment dans le cas de la carence fautive d'une personne publique à exercer ses pouvoirs de police ou de son refus de se conformer aux obligations qui lui sont fixées par voie législative ou réglementaire », comme cela est possible dans le cadre de la responsabilité sans faute.
 
La seconde question était de savoir « dans quelles limites s'étendent de telles prescriptions condamnant la personne publique à faire cesser ou pallier les effets d'un dommage qui perdure à la date à laquelle le juge statue, du fait d'une telle faute ».
 
Le Conseil d’État, dans un avis du 12 avril 2022 (CE, 12 avr. 2022, n° 458176, Lebon) répond par la négative à la première question en ajoutant que cette possibilité n’existe pas non plus en matière de responsabilité sans faute, et rend ainsi sans objet la seconde question.
 
Conclusions à fin d’injonction en complément de conclusions indemnitaires
 
Il déclare :
 
« 1. La personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement.
 
2. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires.
 
3. De la même façon, le juge administratif ne peut être saisi, dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets, qu'en complément de conclusions indemnitaires ».
 
Le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence sur le prononcé d’injonctions en matière de contentieux indemnitaire de façon importante au cours des dernières années.
 
Limitation du recours au pouvoir d’injonction
 
Il avait d’abord jugé que les conclusions demandant à titre principal le prononcé d’une injonction à l’encontre de l’administration étaient irrecevables (CE, 30 déc. 1996, n° 103492, Lebon ; CE, 27 juill. 2009, n° 302110, Lebon). Il a récemment admis qu’il pouvait, en cas de recours indemnitaire tendant à la réparation d’un préjudice lié à une faute d’une personne publique qui perdure, enjoindre à la personne publique de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets (CE, 27 juill. 2015, n° 367484, Lebon, T ; CE, 27 janv. 2020, n° 427079, Syndicat mixte d'assainissement du Val Notre-Dame).
 
Dans le cadre du contentieux des dommages de travaux publics sans faute, le juge a consacré le pouvoir d’injonction à condition toutefois que le préjudice « trouve sa cause au moins pour partie dans une faute du propriétaire de l'ouvrage » dans un arrêt de 2019 (CE, 18 mars 2019, n° 411462, Commune de Chambéry, Lebon, T).
 
Il précisé dans un arrêt de 2019 que ce pouvoir d’injonction ne pouvait être exercé que si, « saisi de conclusions en ce sens » le juge « constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique ». L'appréciation du caractère fautif de l'abstention s'opère en deux temps : d'une part, le juge doit « vérifier […] si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage », et d'autre part, « si tel est le cas, [le juge doit] s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique » (CE, sect., 6 déc. 2019, n° 417167, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill, Lebon).
 
Dans son arrêt rendu le 12 avril 2022, le Conseil vient encadrer une nouvelle fois ce pouvoir d’injonction en le limitant aux seules demandes présentées en complément d’une demande d’indemnisation.
 
Pour aller plus loin
 
Sur le pouvoir d’injonction du juge dans le cadre du contentieux de pleine juridiction, voir Le Lamy contentieux administratif nos 452 et s.
Sur le recours au pouvoir d’injonction par le juge saisi d’un recours indemnitaire, voir Le Lamy responsabilité administrative n° 496, et dans le cadre de la responsabilité pour dommages de travaux publics, voir n° 642.
Source : Actualités du droit