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Condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret de l’instruction et liberté d’expression

Pénal - Droit pénal spécial
18/12/2020
Un journaliste a été condamné pour avoir publié dans un journal un portrait-robot d’un violeur présumé, établi par les services de police dans le cadre d’une enquête en cours. La CEDH, saisie par le journaliste, affirme qu’il n’y a pas eu de violation de la liberté d’expression, dans un arrêt du 17 décembre 2020. 

À la suite de plusieurs viols, un portrait-robot d’un suspect est établi. Un an plus tard, et alors qu’une information judiciaire est ouverte pour ces faits, le commissaire, dirigeant le service se voyant confier l’affaire, est contacté par un journaliste. Ce dernier préparant un nouvel article sur le sujet, le commissaire décide d’adresser un courrier à ses principaux collaborateurs pour informer que « le requérant ne pouvait être destinataire d’aucune information ».
 

Le portrait-robot et des photographies sont diffusés sur l’intranet des DPJ par le biais d’une circulaire de demande de rapprochement et d’identification. Ne faisant l’objet d’aucune diffusion publique, le portrait-robot va néanmoins être révélé par Le Nouveau Détective. Le lendemain, le quotidien Le Parisien décide de consacrer, une page entière à cette information en publiant trois articles rédigés par le journaliste susmentionné, dont l’un illustré par le portrait-robot.
 
Finalement, il apparaît que le portrait-robot ne correspondait pas au suspect. Ce dernier ayant été identifié par des photographies. Le juge d’instruction et la direction de la police judiciaire décident alors de diffuser un appel à témoins en rendant publique une photographie de l’individu recherché.
 
Le commissaire décide d’adresser à sa hiérarchie un rapport pour dénoncer la violation du secret de l’instruction : la publication du portrait-robot dans l’article du Parisien « avait suscité la transmission aux services d’enquête de très nombreux renseignements qui s’étaient révélés inutiles, dès lors que le portrait-robot ne correspondait plus à la personne recherchée, et expliqua qu’elle avait contraint le juge d’instruction et la direction de la police judiciaire à mettre en œuvre la procédure d’appel à témoins ».
 
Une enquête pour recel de violation du secret de l’instruction est ordonnée. Le journaliste du Parisien est cité à comparaître devant le tribunal correctionnel pour avoir « sciemment recelé un portrait-robot, qu’il savait provenir d’un délit, en l’espèce, une violation du secret professionnel ». Le tribunal correctionnel le déclare coupable et le condamne notamment à 8 000 euros. La cour d’appel confirme le jugement sur la culpabilité mais réduit la peine à une amende de 3 000 euros. Le journaliste décide de former un pourvoi en cassation, qui sera rejeté.
 
Il décide alors de saisir la CEDH alléguant une violation de l’article 10 de la Convention. Rappelons que cet article dispose que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ». 
 
 
La Cour tient à rappeler, dans un premier temps, « l’importance du rôle des médias dans le domaine de la justice pénale et qu’il convient d’apprécier avec la plus grande prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d’une telle importance, exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie. (Dupuis et autres c. France, n° 1914/02, § 46, 7 juin 2007, et Ressiot et autres c. France, n°s 15054/07 et 15066/07, § 102, 28 juin 2012) ».
 
Elle confirme également que la condamnation pour recel de violation du secret professionnel sur le fondement de l’article 321-1 du Code pénal répond à l’exigence de prévisibilité de la loi au sens de l’article 10 de la Convention, comme il a déjà été jugé (CEDH, 7 juin 2007, Req. 1914/02, Dupuis et autres c/ France, CEDH, 30 juin 2009, Req. 17215/06, Acquemand c/ France ou encore CEDH, 26 juin 2012, Req. 15054/07, Ressiot et autres c/ France).
 
Aussi, la Cour retient que « l’ingérence reposait sur la nécessité de protéger le secret dont doivent pouvoir bénéficier les informations relatives à la conduite d’une enquête pénale et, plus généralement, de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire et poursuivait donc un but revêtant un caractère légitime ».
 
Concrètement, la CEDH soulève que :
- le journaliste ne pouvait ignorer que le portrait-robot qu’il comptait publier était couvert par le secret de l’instruction ;
- le journaliste ne s’est pas préoccupé de la fiabilité du portrait-robot ou de son effet sur l’information judiciaire en cours « au mépris des devoirs et responsabilités des journalistes que comporte l’exercice de la liberté d’expression » ;
- l’intérêt d’informer le public ne justifie pas l’utilisation de la pièce de la procédure ;
- et la publication a exercé « une influence négative sur la conduite de la procédure pénale ».
 
S’agissant du recours à la voie pénale et la peine infligée au journaliste, à savoir 3 000 euros, au lieu des 8 000 fixés par le tribunal correctionnel, la CEDH note que la cour d’appel a décidé de sanctionner « dans une plus juste mesure ».
 
Ainsi, la Cour conclut qu’il n’y a pas d’ « ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression ». Et continue en affirmant qu’« on ne saurait considérer qu’une telle sanction risque d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression du requérant ou de tout autre journaliste souhaitant informer le public au sujet d’une procédure pénale en cours ».
 
La CEDH décide alors qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 en l'espèce.
 
 
Notons qu’Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, avait affirmé lors de son audition par la commission des lois le 20 juillet 2020, vouloir travailler sur le secret de l’enquête (AN, 2019-2020, compte rendu n° 81). Il précisait «  je veux aller loin s’agissant du secret de l’instruction. Le droit à l’information doit être garanti ; je veux associer des journalistes à la réflexion. Cela dit, les dérives actuelles sont insupportables » (v. Où en sont les missions annoncées par le garde des Sceaux ?, Actualités du droit, 10 nov. 2020).
 
Source : Actualités du droit