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Dérogations au rôle de gestionnaire unifié de SNCF Gares & Connexions : l’ART rend un avis critique sur le projet de décret « gares »

Public - Droit public des affaires
26/10/2020
Le projet de décret « gares » permet aux autorités organisatrices de transport (AOT) de fournir, pour le compte du gestionnaire des gares, des prestations de gestion ou d'exploitation de certaines gares de voyageurs en les fournissant elles-mêmes ou en les confiant à un opérateur dans le cadre d’un contrat de service public. Dans son avis du 8 octobre 2020 publié le 15 octobre, l’Autorité de régulation des transports (ART) pointe un champ d’application trop large, concernant les gares et les prestations éligibles, et un dispositif trop complexe qui serait source d’inefficacité et de discrimination.

Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine


La loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire institue un gestionnaire unifié des gares, SNCF Gares & Connexions, indépendant de l’exploitant historique, SNCF Voyageurs, et rattaché au gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, SNCF Réseau, sous la forme d’une filiale dotée d'une autonomie organisationnelle, décisionnelle et financière.

Le nouvel article L. 2121-17-4 du code des transports aménage ce rôle de gestionnaire unique en permettant aux AOT de fournir, pour le compte de SNCF Gares & Connexions, des prestations de gestion ou d'exploitation de certaines gares de voyageurs. Elles peuvent les fournir elles-mêmes ou bien les intégrer dans le périmètre des prestations comprises dans les contrats de service public avec les entreprises ferroviaires.

Le projet de décret soumis à l’avis de l’ART (décret « gares ») définit les conditions d’application de cet article, précisant notamment les gares et les prestations éligibles, ainsi que les conditions dans lesquelles une AOT peut mettre en place, à travers une convention passée avec SNCF Gares & Connexions, le dispositif.

Avant de rendre son avis, l’ART a procédé, en septembre 2020, à une consultation publique à laquelle seize contributeurs ont participé : huit AOT, deux entreprises ferroviaires, deux associations représentatives des entreprises ferroviaires, un gestionnaire d’installation de services et trois organisations syndicales.
 
Un champ d’application trop large

S’agissant du périmètre des gares éligibles au dispositif, l’ART considère celui-ci trop large. En effet, elle relève que l’intention du législateur visait plutôt les gares « mono-transporteur » (gares desservies par une seule ligne et donc un seul transporteur), pour lesquelles le modèle de « transporteur-intégrateur » (transporteur à la fois exploitant ferroviaire et gestionnaire de gares) peut présenter un intérêt en termes d’optimisation des coûts. Ainsi, l’ART recommande, à défaut de limiter le périmètre du dispositif aux gares purement mono-transporteur, d’exclure du périmètre d’éligibilité l’ensemble des gares d’intérêt national et certaines gares d’intérêt régional « pluri-transporteurs ». Dans ces dernières, en effet, le modèle de « transporteur-intégrateur » peut comporter des risques de discrimination à l’égard des autres entreprises ferroviaires.

S’agissant des prestations éligibles, l’ART observe que parmi les prestations automatiquement intégrées dans le dispositif figurent notamment les prestations relatives à l’accueil, l’information (hors information collective) et l’orientation des voyageurs. Or, il s’agit selon l’ART des prestations les plus sensibles du point de vue de la concurrence. L’ART envisage alors que seules les prestations à faible impact concurrentiel puissent être rendues éligibles au dispositif (gestion du site, entretien, gardiennage, etc.). Cependant, elle consent que cette solution aurait pour effet de vider ce dernier d’une grande partie de son intérêt et propose donc que les prestations présentant un enjeu concurrentiel puissent être intégrées au dispositif, mais uniquement pour les gares quasi-exclusivement et durablement mono-transporteur.
 
La remise en cause du rôle de gestionnaire unifié de SNCF Gares & Connexions

L’ART estime que le rôle de SNCF Gares & Connexions est affaibli en raison, d’une part, de la multiplication des acteurs pouvant fournir des prestations de gare et, d’autre part, car SNCF Gares & Connexions est privé de réels leviers de pilotage des prestations fournies dans les gares, tant en termes de contenu que de maîtrise des coûts, et ce alors même qu’elle est responsable de l’élaboration des tarifs régulés. Ainsi, l’ART estime que la mise en œuvre de ce dispositif pourrait conduire à qualifier l’AOT ou le titulaire du contrat de service public de gestionnaire d’installation de service, en fonction des responsabilités concrètes qu’ils exerceront.
 
Un dispositif complexe source d'inefficacité

Selon l’ART, le projet de décret n’aménage pas une répartition claire des rôles et responsabilités entre les différents acteurs. L’application du dispositif qu’il prévoit conduirait en effet à mettre en place un système particulièrement complexe de relations techniques et financières, qui pourrait s’avérer inefficace. À cela pourrait s’ajouter un risque de dilution des responsabilités tenant à la présence d’une pluralité d’intervenants aux missions insuffisamment définies. L’Autorité considère que cette complexité pourrait augmenter les coûts (risque d’accumulation des marges à chaque niveau) et les risques contentieux.

Enfin, l’ART relève qu’elle est incompétente pour connaître, comme le prévoit le projet de décret, des différends relatifs à la convention conclue entre l’AOT et le gestionnaire des gares. Elle serait en revanche compétente pour connaître des éventuels différends en matière d’accès non discriminatoire aux gares et aux prestations qui y sont fournies. Cet accès constitue ainsi un enjeu concurrentiel majeur, au même titre que l’accès aux infrastructures ferroviaires.
 
Pour aller plus loin
– Pour des développements détaillés en matière de régulation des transports, voir Le Lamy Droit public des affaires 2020, nos 664 et suivants
– Plus précisément, sur le nouveau pacte ferroviaire et sa mise en œuvre, voir les nos 670 et suivants.

À lire également : Ouverture à la concurrence des services TER : premier éclairage sur l’obligation de transmission des données de l’opérateur historique aux régions, Actualités du droit, 28 sept. 2020.

Par Marie Missimilly et Bruno Raimondi
Source : Actualités du droit