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Délais de recours : la jurisprudence Czabaj étendue aux rejets implicites de recours gracieux

Public - Droit public général
20/10/2020
Le rejet implicite d’une demande formée dans le cadre d’un recours gracieux doit être contesté dans un délai d’un an en l’absence d’information de l'administré sur les voies et délais de recours. C’est ce qu’a déclaré le Conseil d’État dans une décision du 12 octobre 2020, par laquelle il consacre une nouvelle extension de sa jurisprudence Czabaj (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763).
Dans un arrêt rendu le 12 octobre (CE, 12 oct. 2020, n° 429185), le Conseil d’État vient consacrer une nouvelle application de la jurisprudence Czabaj, en l’étendant aux recours contre une décision implicite de rejet d’un recours gracieux.
 
La jurisprudence Czabaj (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763), selon laquelle, pour des raisons de sécurité juridique, les recours sont enfermés dans un délai dit « raisonnable » d’un an en l’absence de mention des voies et délais de recours dans la décision litigieuse, a été étendue à un grand nombre de recours contentieux.
 
Dans l’affaire sur laquelle le Conseil a rendu sa décision le 12 octobre dernier, il s’agissait d’un rejet implicite opposé à un recours gracieux. Le Conseil d’État reprend le considérant de principe de son arrêt Czabaj, à savoir :
 
« Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable ».
 
Décisions implicites de rejet et recours gracieux
 
Ce délai raisonnable est, selon le Conseil, d’un an à compter de la notification d’une décision expresse ou de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance de la décision.
 
En matière de décision implicite, la Haute cour s’était déjà prononcée, par un arrêt du 18 mars 2019 (CE, 18 mars 2019, n° 417270) . Dans cette décision, elle avait choisi d’étendre l’application de la jurisprudence Czabaj aux décisions implicites de rejet de l’Administration (voir Délai de recours : la jurisprudence Czabaj appliquée aux décisions implicites de rejet, Actualités du droit, 26 mars 2019).
 
Ici, la décision contestée est un rejet implicite d’un recours gracieux. Le Conseil reprend les termes de sa décision de mars 2019 : « Les règles […] relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision ».
 
Il ajoute que « ce principe s'applique également au rejet implicite d'un recours gracieux », venant une nouvelle fois privilégier le principe de sécurité juridique par rapport au droit au recours et à la légalité des décisions de l’Administration au delà d'un certain délai.
 
Difficulté de la preuve de la connaissance de la décision
 
Le Conseil précise toutefois que les règles de son arrêt Czabaj ne s’appliquent que si le demandeur a connaissance de la décision. Il apporte un mode d’emploi permettant de savoir s’il peut être considéré comme établi que le demandeur a eu connaissance de la décision contestée.
 
Le Conseil d’État déclare que le seul écoulement du temps depuis la présentation du recours gracieux ne permet pas d’établir la preuve de la connaissance de la décision de rejet.
 
En revanche, il peut être prouvé que le requérant a connaissance de la décision implicite de rejet s’il est établi :
— soit que l’administré a été clairement informé des conditions de naissance d’un refus implicite, c’est-à-dire s’il connait la date à laquelle le recours gracieux est considéré comme rejeté ;
— soit si, au cours d’échanges avec l’Administration, la décision implicite de rejet a été expressément mentionnée.
 
Dans ces hypothèses :
— si l’administré a été informé des voies et délais de recours : il dispose d’un délai de deux mois pour contester la décision de rejet implicite ;
— s’il n’en a pas été informé, le recours doit être exercé dans un délai raisonnable à compter soit de la naissance de la décision, soit de la date de l’événement établissant la connaissance de la décision implicite de rejet.
 
En revanche, de même que dans sa décision du 18 mars 2019, le Conseil d’État ne précise pas le délai de recours qui serait applicable dans l’hypothèse où le demandeur n’aurait pas été informé des conditions de naissance de la décision implicite, ou dans celle où la décision implicite n’aurait pas été mentionnée au cours d’échanges avec l’Administration. En pareille hypothèse, il semblerait que les délais de recours ne soient pas opposables à l’administré, en application de l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration : « les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation ».
Source : Actualités du droit