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La semaine du droit public des affaires

Public - Droit public des affaires
13/03/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit public des affaires, la semaine du 2 mars 2020.
Délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics – élément légal
« Le 30 août 2011, le parquet de Paris a diligenté une enquête préliminaire à la suite de la plainte du Syndicat national des personnels de la communication et de l’audiovisuel CFE-CGC (ci-après désigné le « SNPCA-CFE-CGC » ) du chef de prise illégale d’intérêts et d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics qui signalait, notamment, la situation de la société Bygmalion, créée en 2008 et dirigée par M. X, ancien membre de la direction de la société France Télévision (FTV) jusqu’en 2008, qui aurait bénéficié de contrats de prestations de « veille internet, courrier au téléspectateur, préparation de dossiers et d’éléments de langage pour le directeur général, accompagnement stratégique du groupe FTV » prévoyant une rémunération annuelle respectivement de 90 000 euros et 72 000 euros, et ce hors toute procédure préalable de mise en concurrence.
Le 10 janvier 2013, le procureur de la République a procédé au classement sans suite de la plainte au motif que les contrats litigieux ne pouvant être qualifiés ni de marchés publics, ni de délégation de service public, ils ne tombaient pas sous le coup des dispositions de l’article 432-14 du Code pénal.
Le 10 février suivant, le SNPCA-CFE-CGC a porté plainte avec constitution de partie civile des chefs de prise illégale d’intérêt et d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics visant les mêmes faits, en précisant que la société FTV est soumise, pour la passation de ses marchés, aux dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 soumise à l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.
Le 23 mai 2013, le procureur de la République a ouvert une information des chefs d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, prise illégale d’intérêt et complicité de ces délits.
Par arrêt du 17 février 2016 (Crim., 17 février 2016, pourvoi n° 15-85.363, Bull. crim. 2016, n° 53), la Cour de cassation, statuant sur les pourvois formés par MM. B. Y et C. Z, respectivement président et secrétaire général de la société FTV, à l’encontre de l’arrêt de la chambre de l’instruction ayant refusé de faire droit à leur requête en nullité, a jugé que la méconnaissance des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, et notamment de son article 6, qui impose à celles-ci le respect des principes à valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, entre dans les prévisions de l’article 432-14 du Code pénal.
A l’issue de l’information, MM. Y et Z ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de favoritisme, M. X et la société Bygmalion l’étant également pour avoir à Paris, courant 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, bénéficié en connaissance de cause, le premier en sa qualité d’associé et de dirigeant de la seconde, de contrats, relatifs notamment à des prestations de veille internet, réponses au courrier des téléspectateurs, préparation de dossiers et rédactions d’éléments de langage, conseil stratégique ayant donné lieu à une facturation de 1 486 760 euros pour les exercices 2009 à 2013, conclus sans mise en concurrence, avec la société FTV, portant atteinte à la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public.
Par jugement en date du 19 janvier 2017, le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables des délits reprochés et a condamné, notamment, M. X à cinq mois d’emprisonnement avec sursis, à 75 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils en le condamnant solidairement avec les autres prévenus à payer à titre de dommages-intérêts, la somme de 1 euro à la société FTV et 5 000 euros au Syndicat national des médias CFDT Médias.
MM. X., Y et le ministère public, ainsi que certaines parties civiles ont interjeté appel de cette décision.
 
Pour dire établi l’élément légal du délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, l’arrêt attaqué, après avoir rappelé que l’article 432-14 du Code s’applique à la société FTV, personne chargée d’une mission de service public, relève que ces dispositions, dont l’objet est de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats gouvernant la commande publique en sanctionnant l’octroi d’un avantage indu résultant d’actes contraires aux dispositions législatives ou réglementaires édictées à cette fin, intègrent nécessairement la norme européenne au travers de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, laquelle en son article 6, à l’instar de l’article 1er du code des marchés publics, énonce ces principes qui s’imposent aux personnes non soumises au dit code.
Les juges relèvent que cette interprétation est conforme à celle de la Cour de cassation qui, dans son rapport annuel de 2008, invitait les juges du fond saisis de faits de favoritisme à préciser le cadre juridique du marché concerné et les obligations légales ou réglementaires qui auraient été violées « peu important à cet égard que la norme violée soit une disposition du code des marchés publics stricto sensu ou une norme légale ou réglementaire complémentaire soumettant des personnes publiques ou privées non assujetties à un tel code à des obligations de mise en concurrence imposées par le droit communautaire » , visant ainsi expressément l’ordonnance du 6 juin 2005.
Les juges constatent ensuite que, d’une part, dès le mois d’avril 2006, un « manuel de mise en œuvre des règles de publicité et de mise en concurrence applicables au groupe France Télévisions" a été diffusé au sein de l’entreprise, d’autre part, en octobre 2011, la société FTV a élaboré un « Guide pratique de passation des marchés » , précisant que la commande publique englobait plusieurs formes telles que les marchés publics et les marchés soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005, et que le délit de favoritisme sanctionnait les atteintes portées aux principes et aux règles qui garantissent la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité des candidats et la transparence des procédures.
La cour d’appel conclut qu’il est ainsi démontré que l’interprétation critiquée était raisonnablement prévisible dès l’époque où les contrats litigieux ont été conclus et que c’est à bon droit que les premiers juges ont jugé que, loin de constituer un revirement de jurisprudence, la solution adoptée dans les seules décisions rendues par la chambre criminelle le 17 février 2016 était raisonnablement prévisible.
En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.
En effet, la méconnaissance des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, et notamment de son article 6, qui imposent à celles-ci le respect des principes à valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, entre dans les prévisions de l’article 432-14 du Code pénal.
 
Pour caractériser le délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, l’arrêt attaqué énonce que les contrats passés par la société FTV répondent aux critères énoncés aux articles 1er et 3 de l’ordonnance de 2005 à laquelle cette société devait se conformer à compter de son entrée en vigueur.
Les juges relèvent que les contrats conclus entre les sociétés FTV et Bygmalion ont donné lieu à une facturation de 1 486 760 euros pour les exercices 2009 à 2013 et qu’il est établi au terme des débats et au vu des pièces soumises au débat contradictoire que les prestations de veille quotidienne sur internet et de constitution de sites internet constituent des prestations annexes aux services informatiques prévues au 7° de l’article 8 du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés régis par l’ordonnance précitée, que les réponses aux courriers des téléspectateurs ressortissent à la catégorie des services d’étude de marché et de sondages prévus au 10° du même texte, que les conseils en stratégie, communication sensible, veille parlementaire et organisation de la filière communication aux services connexes au conseil en gestion prévus au 11° de cet article, et que la préparation de dossiers et la rédaction d’éléments de langage ressortissent aux services de publicité visés au 13° de ce texte.
Ils ajoutent que le caractère elliptique du libellé tant des seuls contrats appréhendés que des bons de commande et des factures établies par cette société empêche de rechercher la qualification de chaque contrat en application du 2e alinéa de l’article 9 du décret.
Les juges retiennent que l’ensemble des contrats visés à la prévention sont soumis aux prescriptions du décret, reprises dans le manuel instauré par la société FTV en 2006 et que le pouvoir adjudicateur devait les soumettre, au regard du seuil de 210 000 euros HT ou de 193 000 euros HT selon l’année considérée, à l’une des modalités prescrites à l’article 7 de ce texte, les modalités de passation des contrats en dessous de ce seuil restant librement définies par le pouvoir adjudicateur dans le respect des principes régissant la commande publique rappelés par l’article 6 de l’ordonnance, conformément aux dispositions du manuel interne de la société FTV qui prescrivait une procédure rappelant l’obligation de mise en concurrence.
Les juges relèvent qu’il est établi qu’au cours des années 2008, 2009 et 2010, aucune des prestations fournies à la société FTV par la société Bygmalion n’a fait l’objet ni d’une mesure de publicité ni d’une procédure de mise en concurrence à l’exception de celle relative au traitement du courrier des téléspectateurs qui a donné lieu à l’établissement d’un devis par la société Laser contact daté de décembre 2008, postérieurement au commencement d’exécution des prestations de Bygmalion en novembre 2008, les factures de la société Bygmalion sur l’année 2008 visant un contrat conclu le 31 octobre de la même année qui n’a pas été retrouvé.
La cour d’appel conclut qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les règles instaurées par l’ordonnance du 6 juin 2005 et du décret du 30 décembre 2005 ainsi que les principes rappelés par l’article 6 du premier de ces textes et repris dans le manuel interne de la société FTV n’ont pas été respectés, les prestations, bien qu’indissociables les unes des autres, ayant par ailleurs fait l’objet d’un fractionnement afin de s’affranchir des seuils légaux.
En l’état de ces énonciations, relevant de son appréciation souveraine des faits et des preuves contradictoirement débattus devant elle, la cour d’appel a justifié sa décision.
En effet, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, applicable aux personnes soumises au code des marchés publics en vigueur à la date des faits, d’une part, une collectivité locale, qui a décidé, bien qu’elle n’y soit pas légalement tenue, de recourir à la procédure d’appel d’offres, doit se conformer aux règles imposées par cette dernière, d’autre part, la méconnaissance de l’article 1er du code des marchés publics, en vigueur à la date des faits, qui énonce les principes fondamentaux gouvernant la commande publique que sont le principe de liberté d’accès à la commande publique et le principe d’égalité de traitement, applicables à tous les marchés publics, entre dans les prévisions de l’article 432-14 du code pénal (Crim., 14 février 2007, pourvoi n° 06-81.924, Bull. crim. 2007, n° 47 ; Crim., 20 mars 2019, pourvoi n° 17-81.975, Bull. crim. 2019, n° 57).
Ces solutions sont transposables à la situation des personnes dont les marchés sont soumis à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 dont l’article 6 prescrit, dans les mêmes termes que l’article 1er du Code des marchés publics, le respect des principes fondamentaux de la commande publique.
À supposer qu’en application de l’alinéa 2 de l’article 9 du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés régis par l’ordonnance susvisée, les contrats litigieux ne soient pas soumis aux formalités prévues par l’article 7 de ce texte, en tout état de cause, d’une part, il se déduit des dispositions des articles 2, 3 et 47 dudit décret, que la passation de ces contrats est soumise à une mise en concurrence, d’autre part, la société FTV se devait de respecter, lors de la passation d’un marché, les principes à valeur constitutionnelle édictés par l’article 6 susvisé et rappelés dans le manuel de mise en œuvre des règles de publicité et de mise en concurrence applicables au groupe France Télévisions élaboré par celui-ci ».
Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-83.446, P+B+I *
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 13 avril 2020
Source : Actualités du droit