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L’échange de titres avec soulte dans la ligne de mire de Bercy

Civil - Personnes et famille/patrimoine
12/09/2016
Rédigé sous la direction de Géraldine POMMERY et Fabienne CHÂTEAU, respectivement directrice et responsable adjointe du département conseil à l'entrepreneur - UNOFI
En partenariat avec le Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine

Moins d’un an après l’insertion dans le BOFIP d’une mise en garde concernant l’échange de titres avec soulte, Bercy fait entrer cette opération dans la liste des pratiques et montages fiscaux abusifs.
La règle juridique utilisée à l’encontre de ses objectifs, est située dans le Code général des impôts (CGI). Ce dernier a mis en place une fiscalité privilégiée en cas d’apports de droits sociaux à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, ou encore en cas de fusion. En effet, l’apporteur bénéficie alors soit d’un report d’imposition (CGI, art. 150-0 B ter) lorsque la société est contrôlée par celui-ci, soit, dans le cas contraire, d’un sursis d’imposition (CGI, art. 150-0 B). Ces deux dispositions sont applicables aux opérations d’échanges de titres avec soulte, si cette dernière ne dépasse pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.
 

Abus de droit fiscal


Ce n’est pas la fictivité de l’opération qui est pointée du doigt par Bercy mais plutôt son but exclusivement fiscal. De la possibilité de bénéficier d’un report ou d’un sursis d’imposition sur l’ensemble de l’opération (en ce compris la soulte), est née une manœuvre consistant à appréhender des liquidités en franchise d’impôt.

Exemple
L’exemple le plus extrême en pratique pourrait être l’hypothèse d’un associé unique à la tête d’une EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) à l’IS (impôt sur les sociétés) ou d’une SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle), souhaitant obtenir 50 K€ de liquidités. L’option traditionnelle à lui conseiller est de réaliser une distribution de dividendes, qui engendrera une taxation à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux (voire aux cotisations sociales pour une EURL). Pour contourner cette imposition, l’associé peut décider d’apporter la totalité de ses titres d’une valeur de 551 K€ à une EURL ou une SASU qu’il contrôlera. En échange de son apport, il obtiendra 501 K€ de titres, et une soulte de 50 K€ placée en compte courant d’associé, et qui sera remboursée grâce à la distribution de dividendes faiblement fiscalisée de la fille à la mère (régime mère-fille). Cette soulte étant inférieure à 10 % des 501 K€ de titres reçus, l’opération dans sa globalité pourra bénéficier du report d’imposition. Ainsi grâce à la création de cette holding, l’associé unique obtient des liquidités sans aucune taxation. Belle opportunité… si le pendant n’était pas la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit fiscal.

 

Interprétation restrictive renforcée


L’insertion de ce montage dans la liste des pratiques abusives publiée par Bercy marque une véritable volonté de l’administration de mettre en garde les contribuables contre une telle construction.
On pourrait même considérer que sa politique en 2016 s’est durcie par rapport au commentaire administratif qu’elle a publié en 2015 dans le BOFIP (BOI-BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60, n° 170). En effet l’an dernier, elle considérait que l’abus se situait dans la « volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt », tandis qu’actuellement on peut lire sur le site du gouvernement que « Le procédé consiste (…) à appréhender des liquidités en franchise d'impôt. » La suppression du terme « immédiat » illustre la stricte interprétation dont fait preuve l’administration fiscale : l’abus de droit sera caractérisé, et ce même s’il se passe un certain temps entre l’opération d’échange et le remboursement de la soulte.
On pourra tout de même s’interroger sur la portée juridique d’un tel durcissement, puisque la publication d’une telle liste ne fait pas partie de la doctrine administrative opposable aux contribuables.

 

     > Cet article fait partie du dossier spécial Patrimoine 2016


 

Échange de titres avec soulte : exigence d’un intérêt économique


Face à de tels signaux d’alarme, doit-on abandonner purement et simplement ce schéma ? Répondre par la positive semble être une hérésie, puisque la possibilité de stipuler une soulte inférieure à 10 %, tout en bénéficiant d’un régime fiscal privilégié, a été mise en place par le législateur lui-même. Il existe donc nécessairement un intérêt économique, à la fois pour les associés et la société.

Ce dernier est aisément déterminable, au moins pour les associés, si l’on s’intéresse au préalable à ce qui fait l’essence même de la soulte. Cette modalité de paiement n’est pas définie juridiquement, mais on la considère en pratique comme la somme devant être payée par celui qui a reçu un bien en nature d’une valeur supérieure à ce à quoi il a droit. Cette définition est corroborée par certains articles du Code civil (C. civ., art. 1844-9) ou du Code de commerce (C. com., art. L. 236-1). Dès lors, l’intérêt pour les associés de la mise en œuvre d’une soulte est nettement perceptible : elle a pour but, en droit des sociétés, de compenser une attribution inégalitaire.

Il peut résulter de cette rupture d’égalité, un refus des associés de continuer à s’associer ensemble. On constate alors, la disparition de l’affectio societatis, élément fondateur du contrat de société. Afin d’anéantir le risque imminent de nullité ou de dissolution de la société, la soulte est une solution heureuse, étant donné qu’elle évite, en amont, une paralysie de l’opération. L’intérêt économique pour la société apparait alors, puisque la soulte devient le gage de sa pérennité.

 

Utilisation mesurée de la soulte


De cette constatation, on en déduit que l’échange de titres avec soulte sera à exclure en présence d’un associé unique. Quant aux sociétés pluripersonnelles, elles ne pourront envisager ce montage que dans des hypothèses bien précises, et en veillant à se ménager des preuves tangibles.
S’il est envisagé un apport de titres à une holding, la soulte trouvera notamment sa raison d’être si elle permet à deux associés d’avoir le même pourcentage de détention du capital et des droits de vote, alors que l’apport de l’un est inférieur à l’autre.

Exemples
Dans ces deux exemples, le spectre de l’abus de droit est anéanti, puisque le but de la soulte n’est pas exclusivement fiscal.
Deux associés A et B veulent apporter respectivement 105 K€ et 100 K€ à une société qu’ils constituent. Ils souhaitent détenir chacun 50 % du capital et des droits de vote. La solution est alors d’intégrer seulement 200 K€ au capital social, et les 5 K€ appartenant à A seront remboursés à l’aide d’une soulte (qui prendra la forme d’un compte courant d’associé).
Enfin, si deux sociétés décident de fusionner, la parité d’échange devra être respectée. Le rapport mathématique pour la déterminer, peut conduire à l’impossibilité d’attribuer des titres entiers à chaque associé de la société absorbée, c’est la problématique des rompus. L’une des solutions est alors de verser une soulte pour éviter la négociation des rompus.
 
 
Source : Actualités du droit