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Didier Paris, député, rapporteur de la mission sur le secret de l’enquête et de l’instruction : « Toutes les informations devraient être communicables, à la réserve expresse qu’elles ne dépassent pas la ligne rouge »

Pénal - Droit pénal général
17/12/2019
Le 18 décembre 2019 a été rendu public le rapport d’information de la mission sur le secret de l’enquête et de l’instruction. Dans une société de l’image, où rapidité et viralité des informations sur les réseaux sociaux sont à prendre en compte, en matière de justice, le secret peut être perçu comme de la dissimulation. Mais la force des intérêts en présence incite à de nombreuses précautions. Au final, faut-il garder le statu quo actuel ? Faire davantage de place à la communication d’informations ? Les questions sont nombreuses et particulièrement sensibles. Retour avec Didier Paris, rapporteur, sur les arbitrages de ce rapport.
Actualités du droit : Pourquoi est-il nécessaire de revoir l’équilibre actuel ?
Didier Paris : En réalité, c’est la situation actuelle qui est déséquilibrée. Le besoin d’information du public n’est pas reconnu par la loi pénale et la violation du secret de l’enquête n’est que très rarement réprimée.
 
Il s’agit donc d’admettre que l’information répond à un impératif prépondérant d’intérêt public mais qu’elle doit trouver ses limites dans la nécessité d’assurer la bonne marche de la justice et de protéger les libertés individuelles.
 
C’est cet équilibre qui doit être restauré avec son corollaire : une répression pénale plus significative en cas d’atteinte aux valeurs fondamentales qui le soutiennent.
 
ADD : L’une des lignes de force de votre rapport, c’est la responsabilisation de tous les acteurs de la chaîne. Pouvez-vous préciser ce point ?
D. P. : La libération de la parole sur les enquêtes ne peut se concevoir que par la responsabilité de chacun à l’exercer en conscience et à ne pas en dépasser les limites. Elle s’applique à l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, tout autant qu’aux journalistes.
 
Le cadre des informations officielles délivrées par les procureurs est assoupli et étendu, sous leur contrôle, aux services de police et de gendarmerie. Les journalistes, au-delà du respect de la loi pénale, se voient appelés à une autorégulation à travers un conseil de déontologie.
 
C’est à ce prix que peut se reconstituer une part de la confiance de nos concitoyens dans la Justice et dans la presse.
 
ADD : Vous proposez de renforcer sensiblement le rôle du procureur en matière de communication : pouvez-vous expliquer ce que vous préconisez ?
D. P. : Le Procureur est, aujourd’hui le seul à détenir une parole officielle. Elle est nécessaire et permet, en l’état actuel du texte, de prévenir les troubles à l’ordre public ou rectifier des informations inexactes.
 
Mais ces conditions préalables peuvent ne pas répondre à la réalité d’une enquête, d’un contexte, ou d’une demande d’information du public. L’évolution consiste donc à autoriser le parquet à s’exprimer, quelles ques soient les conditions, dès lors qu’il y trouve, en opportunité, un intérêt à le faire.
 
Cette expression sera utilement prolongée et démultipliée par celle des services de police ou de gendarmerie, agissant avec son accord et sous son contrôle.
 
Article 11 du Code de procédure pénale
« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.
 Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».
 
 
ADD : L’autre pierre angulaire, c’est la proportionnalité, n’est-ce pas ? Et les critères que vous souhaitez inscrire à l’article 11 semblent assez larges…
D. P. : Ils sont volontairement larges et donneront lieu à une lecture jurisprudentielle dont une bonne part existe déjà.
 
Pour autant, il s’agit de la reprise, dans notre droit objectif, de concepts jurisprudentiels parfaitement stabilisés par la Cour européenne des droits de l’homme et en grande partie déjà appliqués en France.
 
ADD : Quelles recommandations faites-vous sur le périmètre des personnes liées par le secret de l’enquête et de l’instruction ?
D. P. : La logique de nos propositions voudrait que la distinction, rigide et binaire, entre les personnes tenues et celles qui ne le sont pas, ne soit plus effective.
 
ADD : Pour vous, quel type d’informations non communiquées actuellement aurait, demain, vocation à être diffusées ?
D. P. : Je renverserais volontiers la question. Actuellement, toutes les informations, ou presque, sont communiquées, souvent sans tenir compte de leur impact sur la vie privée, la présomption d’innocence…
 
L’idéal, en application de nos propositions, serait que toutes les informations soient communicables, à la réserve expresse qu’elles ne dépassent pas la ligne rouge du fonctionnement serein de la justice et des libertés individuelles.
 
ADD : Et croyez-vous, qu’en pratique, l’harmonisation de la communication des procureurs est réellement possible ?
D. P. : Elle est sans aucun doute souhaitable. La pratique des parquets de France, en la matière, est plus que disparate.
 
Elle ne sera rendue possible que par les efforts de formation et de sensibilisation que nous appelons de nos vœux.
 
ADD : Le rapport suggère un net renforcement des sanctions en cas de violation du secret de l’enquête et de l’instruction.  Quelles sont précisément vos recommandations ?
D. P. : Elles sont double. Porter la peine encourue à 3 ans d’emprisonnement, au lieu d’un an actuellement en cas d’atteinte à l’article 11, issu de la nouvelle rédaction.
 
Porter au même niveau, la peine encourue en cas de transmission et diffusion de pièces de procédure, celle-ci caractérisant d’une manière flagrante et difficile à contrer, la violation des règles édictées
 
ADD : Vous abordez un point très pratique, celui de la consultation via les applicatifs métiers, des informations sur une enquête. Quels sont les problèmes actuels et que proposez-vous pour y remédier ?
D. P. : La justice évolue et c’est heureux, vers une plus grande utilisation des outils numériques. La récente loi de programmation et de réforme pour la justice a instauré, à titre expérimental, la numérisation « native » des procédures pénales. La conséquence en est qu’un plus grand nombre d’acteurs, au stade de l’enquête ou lors de la procédure judiciaire elle-même, sont en capacité d’accéder aux pièces de procédure, d’en partager le cours.
 
Il y a donc lieu, à l’instar des fichiers à disposition des forces de sécurités, de veiller à une parfaite traçabilité des accès et de mettre en place les dispositifs de contrôles adéquats.
 
ADD : Quelles suites pourraient avoir votre rapport ?
D. P. : Les suites n’ont pas encore été fixées. Ce rapport peut s’intégrer dans un texte en cours de préparation, dans un projet de loi ou une proposition de loi spécifique.
 
Cette décision viendra en son temps.
 
 
 Propos recueillis par Clara Le Stum et Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Les 18 recommandations
– maintenir le secret de l’enquête et de l’instruction
– inscrire dans le Code de procédure pénale que le droit à l’information constitue un impératif prépondérant d’intérêt public, en précisant que celui-ci doit être strictement nécessaire et proportionnée au but poursuivi
– Inscrire à l’article 11 du Code de procédure pénale les intérêts publics et privés qui doivent faire l’objet d’une protection :
* l’autorité et l’impartialité de la justice,
* l’effectivité de l’enquête pénale,
* la protection des personnes,
* le droit de toute personne à la présomption d’innocence,
* le droit de toute personne à la protection de la vie privée,
* le droit de toute personne à la dignité;
– préparer, en matière de secret professionnel, la transposition de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte
– permettre au procureur de la République d’exercer son droit à l’information en opportunité, dès lors qu’il estime qu’il existe un intérêt public à le faire
– autoriser les services de police et de gendarmerie à communiquer sur les enquêtes de flagrance ou préliminaires en cours, par accord et sous le contrôle du procureur de la République
– faciliter le partage d’information, dans le respect de l’article 11 du Code de procédure pénale, entre l’autorité judiciaire et les autorités administratives soumises au secret professionnel
– renforcer la répression des violations du nouvel article 11 du Code de procédure pénale en la portant à trois ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende
– inscrire la répression de la violation du secret professionnel dans le livre IV du Code pénal relatif aux infractions contre la chose publique
– fixer la peine encourue en cas de transmission de pièces du dossier par des parties à des tiers (article 114-1 du code de procédure pénale) ou de publication illégales de pièces (article 38 de la loi de 1881) au même niveau que celle de la violation du secret de l’enquête et de l’instruction
– nuiformiser la doctrine de communication des parquets
– poursuivre le déploiement dans les tribunaux et les cours d’appel de magistrats, formés et dotés de moyens suffisants, en charge de la communication
– améliorer la formation des policiers et des gendarmes, quel que soit leur grade, sur les enjeux relatifs au secret de l’enquête et de l’instruction et généraliser les instructions de service sur cette thématique
– la dématérialisation croissante des procédures et des dossiers de procédure doit s’accompagner d’une meilleure traçabilité des éléments et d’un contrôle plus strict de l’attribution des accès
– envisager, pour les faits les plus graves et en faveur des associations de victimes, des fenêtres d’information par le procureur de la République pendant l’enquête
– confier  systématiquement  l’annonce  des  bilans victimaires au procureur de la République
– réviser la circulaire du 27 avril 2017 pour faciliter l’accès des médias à l’acte de justice dans des démarches pédagogiques
– Xavier Breton, rapporteur : encourager le maintien des médiateurs dans les rédactions
– Didier Paris, rapporteur : soutenir la création d’un Conseil de déontologie journalistique, dépourvu de pouvoir de sanction, mais chargé de rendre des avis, notamment à la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel
 
 
Source : Actualités du droit