L’article 367, alinéa 2 : un zombie dans le Code de procédure pénale ?

Pénal - Procédure pénale
25/09/2019
La détention provisoire des accusés appelants d’une décision de cour d’assises à l’épreuve de la loi du 23 mars 2019.
Les questions de la détention provisoire et de sa durée maximum sont au centre des préoccupations des justiciables et de leurs conseils. Il s’agit de concilier d’une part le principe de la liberté individuelle et, d’autre part, les nécessités de l’enquête, du maintien à disposition de la justice des personnes suspectées, voire – depuis la loi du 5 mars 2007 (L. n° 2007-297, 5 mars 2007, JO 7 mars), uniquement en matière criminelle – de mettre fin à un trouble exceptionnel à l’ordre public. La prééminence de la liberté est bien connue : la détention ne peut être que l’exception. En tout cas en théorie.
S’agissant des délais pendant lesquels le mis en examen, le prévenu, l’accusé, peuvent rester en détention provisoire, ils font l’objet d’un strict encadrement (C. pr. pén., art. 145-1 et s.), sous l’influence conjuguée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de la Convention européenne des droits de l’homme.
Reste une hypothèse, fort mal réglée par le Code de procédure pénale : celle de l’accusé, condamné par une cour d’assises de première instance, et dont il a été interjeté appel.
Aux termes de l’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale, dans cette hypothèse, « l’arrêt de la Cour d’assises (de première instance) vaut titre de détention, jusqu’à ce que la durée de la détention ait atteint celle de la peine prononcée ».
Pourtant, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (art. 63, L. n° 2019-222, 23 mars 2019, JO 24 mars) a créé l’article 380-3-1 du Code de procédure pénale, aux termes duquel, dans cette hypothèse, l’accusé doit être jugé dans un délai de un an, prolongeable jusqu’à deux ans (voire trois), faute de quoi une remise en liberté doit être ordonnée. Quid, dans ces conditions, de l’article 367 alinéa 2, dont il résulte un délai d’audiencement égal au quantum de « la peine prononcée » en première instance, soit en général, s’agissant de réclusion criminelle, bien plus de deux ou trois ans ?
Les zombies, issus de la tradition haïtienne, et popularisés par les films de George Romero, puis par le clip de Thriller de Michaël Jackson, ont été remis à la mode notamment par la bande dessinée The Walking Dead et son adaptation télévisée éponyme. À l’aune de la définition du zombie dans les films d’horreur hollywoodiens, l’article 367, alinéa 2 s’apparente à une espèce inédite de mort-vivant législatif dissimulé dans notre Code de procédure pénale. Le monstre de Georges Romero se distingue en effet par deux caractéristiques : il est à la fois mort et vivant (I) et il se nourrit de la chair des vivants (II). Ces éléments distinctifs sont partagés avec l’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale.
 

I. L’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale est à la fois mort et vivant


L’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale est mort. — L’article 380-3-1 du Code de procédure pénale, créé par la loi du 23 mars 2019 (précitée) prévoit que l’accusé doit comparaître devant la cour d’assises statuant en appel sur l’action publique dans un délai d’un an à compter soit de l’appel, si l’accusé est détenu, soit de la date à laquelle l’accusé a été ultérieurement placé en détention provisoire en application de la décision rendue en premier ressort. Toutefois, si l’audience sur le fond ne peut se tenir avant l’expiration de ce délai, le président de la chambre de l’instruction peut, à titre exceptionnel, par une décision mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire, ordonner la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de six mois. Cette prolongation peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes. La durée de six mois prévue au présent alinéa est portée à un an en cas de poursuites pour crime contre l’humanité ou pour un crime constituant un acte de terrorisme. Pour synthétiser, tout accusé, appelant d’une décision de condamnation, doit comparaitre dans un délai de deux ans – trois ans en matière de terrorisme et de crime contre l’humanité –, faute de quoi il doit être remis en liberté.
Ces dispositions sont, à l’évidence, directement contraires à celles de l’article 367, alinéa 2 évoquées supra : sous le nouveau régime, le délai de maintien en détention provisoire est strictement encadré, alors que sous l’empire de l’article 367, alinéa 2, celle-ci n’a d’autre limite que la peine prononcée en première instance. Il s’agit d’un conflit très classique de loi dans le temps, que corrobore en l’espèce le principe d’application immédiate des lois de procédure (C. pén., art. 112-2, al. 2) : l’article 380-3-1 du Code de procédure pénale abroge l’article 367, alinéa 2 du même code, en tant que ce dernier est antérieur. L’article 367, alinéa 2 est bien mort.
 
« En même temps », l’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale est encore vivant. — L’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale reste pourtant partiellement en vigueur. Sur le plan formel, il n’est pas textuellement supprimé du Code de procédure pénale. Surtout, et sur le fond, la survie de l’article s’explique par une disposition transitoire. En effet, l'article 380-3-1 ne s’applique qu’aux appels formés à partir du 1er juin 2019. L’article 367, alinéa 2 est donc bien le seul applicable aux appels antérieurs.
On peut comprendre que le législateur évite des délais intenables, de par une application systématique et irraisonnée du nouveau délai aux situations antérieures (on pense par exemple à l’application immédiate du nouveau délai, aux appels pendants non audiencés depuis plus de deux ans). Mais d’autres techniques législatives étaient envisageables et auraient évité toute désorganisation des greffes. Par exemple, il aurait pu être prévu que, pour les appels antérieurs au 1er juin, le délai de l’article 380-3-1 ne courrait qu’à partir du 1er juin.
En l’état, force est de constater que l’article 367, alinéa 2 est vivant.
 

II. L’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale se nourrit de la chair des vivants


À l’instar des « marcheurs » (désignation des morts-vivants dans The Walking Dead), qui se nourrissent de la chair des vivants, l’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale se délecte de leurs droits fondamentaux. Plus précisément, il porte atteinte aux trois valeurs fondamentales de la République, fût-ce dans le désordre : l’égalité, la liberté, la fraternité.

L’article 367, alinéa 2 porte atteinte au principe d’égalité. — Il a précédemment été indiqué que, pour les appels formés à compter du 1er juin 2019, l’affaire doit être audiencée dans un délai de deux ou trois ans, faute de quoi l’accusé est automatiquement remis en liberté.
La différence de traitement avec un accusé qui, par exemple, aurait fait appel la veille, le 31 mai 2019, est incompréhensible et insupportable au regard de l’égalité entre justiciables, principe fondateur de notre droit, protégé comme tel par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article 6 prévoit que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Or, à un jour près, l’appelant du 31 mai 2019 pourrait être maintenu en détention provisoire… à perpétuité, si tel est le quantum de la peine prononcée en première instance.

L’article 367 alinéa 2 porte atteinte au droit à la liberté et à la sûreté. — Pour les accusés relevant des dispositions de l’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale, la détention provisoire peut durer perpétuellement, dans l’hypothèse la plus sévère d’un condamné à la réclusion à perpétuité.
On ne peut qu’être en désaccord avec les arrêts de la Cour de cassation qui refusent la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, au motif que « l’accusé détenu peut à tout moment solliciter sa remise en liberté, la chambre de l’instruction devant statuer dans un délai de deux mois et veiller, sous le contrôle de la Cour de cassation, à ce que la détention de l’accusé n’excède pas un délai raisonnable » (voir par ex. Cass. crim, 29 mars 2017, n° 17-90.001. Décisions antérieures à la promulgation de C. pr. pén., art. 380-3-1).
Au risque d’une tautologie, une détention perpétuelle n’apparaît pas vraiment provisoire… Et un contrôle des juridictions sur le caractère raisonnable ne peut se substituer à un encadrement législatif de la durée maximum de la privation de liberté avant une décision de justice définitive.
La situation apparaît particulièrement étrange pour les accusés appelants, condamnés en première instance, ayant comparu libres. L’orthodoxie juridique commande de les remettre en liberté lorsque leur contrôle judiciaire suffit à répondre aux impératifs de l’article 144 du Code de procédure pénale (voir par ex. CA Aix-en-Provence, 16 mai 2019, n° 2019/01024 et n° 2019/01025 (deux arrêts) ; CA Paris, 4 juin 2019, n° 2019/02237: « l’accusé a respecté les obligations de son contrôle judiciaire et il s’est présenté à l’audience de la cour d’assises spécialement composée qui l’a condamné à la peine de 10 ans de réclusion criminelle. Au regard de ses garanties de représentation (…) il y a lieu de faire droit à la demande de mise en liberté mais de le placer sous contrôle judiciaire ». Mais tel n’est pas systématiquement le cas ; CA Bourges, 22 août 2019, n° 2019/00146).
En tout état de cause, une détention provisoire sans aucune limite textuelle apparaît bien contraire au droit à la liberté et à la sureté (sans préjudice du droit à un procès équitable, fondement du contrôle de la CEDH en matière de détention provisoire après une décision de première instance ; voir not. CEDH, 29 juin 1991, req. n° 12369/86, Letellier c. France).
 
L’article 367, alinéa 2 porte atteinte à la fraternité et à la dignité. — La valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne a été consacrée par la décision dite « bioéthique » du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 (Cons. const., 27 juill 1994, n° 94-343/344 DC, JO 28 juill.). Il est en outre protégé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Il assure la protection de l’individu contre toute forme d’asservissement et de dégradation. La détention provisoire ne peut être qu’une parenthèse ; elle devient insupportable et attentatoire à la dignité si elle n’est pas strictement encadrée.
S’agissant de l’accusé appelant d’une décision de première instance, le poids de l’attente en détention distingue son sort de celui du condamné à titre définitif, lequel a connaissance du quantum d’une peine à purger, voire une visibilité sur des perspectives d’aménagement et de réinsertion. Pour mémoire, les États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme refusent l’extradition vers les États-Unis de ressortissants risquant la peine de mort. Et, ce, non seulement à cause du risque d’atteinte au droit à la vie, mais surtout à cause du risque d’exposition au syndrome du « couloir de la mort », à savoir le risque de longue attente de la fin de vie dans le couloir de la mort (voir not. CEDH, 7 juin 1989, req. n° 14038/88, Soering c. Royaume-Uni). Or, la situation d’accusés âgés, condamnés en première instance à une peine importante, n’est pas sans comparaison avec ce syndrome. Ils peuvent attendre un appel, pour une période les amenant à un âge supérieur à leur espérance de vie, sans certitude sur la date de l’audience.
 
L’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale, ni vraiment mort, ni vraiment vivant, se nourrit de la dignité des condamnés. Il s’agit bien d’un zombie dans notre droit positif. Et tout amateur de série B le sait : quand on voit un zombie, il est urgent de le supprimer. En l’occurrence, de l’abroger.

Par Maître Alexandre-M. BRAUN, Avocat à la Cour, Ancien Secrétaire de la Conférence. http://braun-avocat.com
Source : Actualités du droit