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Remise du Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire

Pénal - Vie judiciaire
04/04/2017
La Commission du Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, installée le 24 janvier 2017, a officiellement remis son rapport au garde des Sceaux le 4 avril 2017. Acte I d'une nouvelle ère de la gestion de nos prisons ? Retour sur les principales propositions du rapport.
Eu égard au « triste record historique » de surpopulation carcérale (69 430 personnes détenues, pour 58 664 places) et la crainte d'un dépassement prochain du nombre de 70 000 personnes écrouées, il est temps de sonner le « tocsin ». « La procrastination et le déni de réalité ne [sont] plus une option ». C'est le moment de rompre avec la « tradition du cachot », la vision purement afflictive de la peine et la « fatalité des moratoires » (sur l’encellulement individuel). Acte I.

Dans le prolongement du rapport sur l'encellulement individuel du 20 septembre 2016, le Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire s'inscrit dans la réalisation du « devoir de la République d'offrir à chaque personne détenue un lieu de vie digne et salubre ». Un « diagnostic équilibré et éclairé », « trame de la future étude d’impact », fondé sur 24 principales propositions, en large partie consensuelles.
Rénover le patrimoine pénitentiaire et agrandir le parc pénitentiaire font partie des leviers d’action, en prenant garde à l’objectif de l’encellulement individuel, qui suppose de ne pas construire avec la perspective d’une augmentation de la capacité d’accueil. On notera également dans ce cadre une réticence, partagée, à l’égard du recours éventuel à des marchés de partenariat. À ce jour, sur 34 sites de maisons d’arrêt envisagés, les recherches menées par les préfectures ont abouti à l’identification de 22 sites possibles (p. 104 et s.).

Mais la « conception républicaine de l’exécution de la peine » suppose surtout une limitation des flux d’incarcération et de la durée des incarcérations pénales. Aussi la commission préconise-t-elle, sans surprise, de dynamiser la recherche d’alternatives à la détention provisoire et de favoriser les aménagements de peine.

Parce que « la prison est un bâtiment républicain » et la cellule, un « lieu de repos et d’intimité pour la personne détenue » et non « d’isolement et d’oisiveté forcée », il importe de « concevoir les espaces des nouveaux établissements pénitentiaires autour d’une journée de détention principalement organisée en dehors de la cellule et fluidifier les circulations ». Dans ce cadre, il faudrait aménager des espaces collectifs de nature à favoriser la socialisation des personnes détenues et ériger l’objectif de 5 heures d’activités en norme contraignante pour le service public pénitentiaire. L’idée est aussi, bien sûr, de concevoir des établissements offrant des espaces de travail apaisants pour les personnels.

Il s’avère également nécessaire de « faire des maisons d’arrêt un véritable lieu d’exécution des peines et, en conséquence, [d’]aligner le régime des permissions de sortir des personnes condamnées exécutant leur peine en maison d’arrêt sur celui des personnes condamnées l’exécutant en centre de détention », de concevoir des maisons d’arrêt avec des niveaux de sécurité différenciés, pour adosser les rigueurs sécuritaires à un strict principe de nécessité, ou bien encore de développer certaines initiatives efficientes, telles que le « régime Respect » (p. 53 et s.), expérimenté à Beauvais et qu’il conviendrait de labéliser. L’accroissement de la capacité des quartiers arrivants, l’affectation directe, pour les courtes peines, dans les quartiers de préparation à la sortie, qui deviendraient « une priorité du programme immobilier » sont autant de leviers d’actions pouvant et devant être mis en œuvre.

On relèvera également plusieurs propositions, en vue d’une refonte des métiers pénitentiaires. Au-delà d’une politique de recrutement (14 000 nouveaux personnels), la revalorisation de l’image des surveillants pénitentiaires et la dynamisation de leur rôle dans l’accompagnement des détenus sonnent également comme des priorités. Une manière d’anticiper la perte de 5 % des effectifs à compter de 2021 (soit 1 300 agents par an, pour cause de retraite ou « autres sorties du corps »). Dans ce cadre, le renforcement du rôle de l’ÉNAP en tant qu’opérateur unique de formation et l’extension des espaces pédagogiques à Agen contribueraient aussi à la consolidation d’une culture professionnelle commune.

« Toutes les actions ne répondent pas à la même temporalité, mais certaines peuvent être engagées dès à présent ». Sans compter les prochaines échéances électorales. La concrétisation de certaines propositions se fera néanmoins avant la fin du quinquennat, parmi lesquelles :
  • Un projet de loi de programmation pour la Justice, comme le recommande la Commission (prop. n 24), « colonne vertébrale de toute action réformatrice ambitieuse », établi idéalement dès la fin de l’été, pour pouvoir être soumis au Sénat concomitamment à la discussion, à l’Assemblée, du projet de loi de finances. Les besoins sont évalués à 1 milliard sur 5 ans, une estimation des coûts des propositions (p. 107 et s. : coûts de construction, dépenses de recrutement et de fonctionnement notamment) ;
  • La rédaction du Code pénitentiaire, d’ores et déjà confiée à Philippe Lemaire, procureur général près la Cour d’appel d’Amiens et président du Conseil d’administration de l’ENAP et se plaçant en perspectives des recommandations du rapport Cotte sur la refonte du droit des peines, remis à Christiane Taubira le 18 décembre 2015 ;
  • L’instauration, à la Chancellerie, d’un service statistique ministériel (SMM), afin de pouvoir exploiter une statistique pénale fiable et solide et la mise en place d’une assistance à maîtrise d’ouvrage pour pallier les carences des logiciels actuels (Cassiopée, Genesis ou APPI), insuffisamment interconnectés.
À l’occasion de la remise officielle du Livre blanc, l'estime est réciproque, l'évidence et l'urgence du temps de l'action sont partagées ; avec Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux et Jean-René Lecerf, Président de la Commission du Libre blanc, le temps des clivages partisans serait-il révolu ?
Monsieur le garde des Sceaux, serez-vous le prochain "Vauban de la Pénitentiaire" ?
Source : Actualités du droit