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Sanctions administratives : rétroactivité in mitius entre l’appel et la cassation

Public - Droit public général
12/10/2022
Dans un arrêt rendu par la section du contentieux le 7 octobre 2022, le Conseil d’État a déclaré que le principe de rétroactivité de la loi répressive plus douce en matière de sanctions administratives devait être appliqué par le juge de cassation lorsque la loi nouvelle est entrée en vigueur après la décision frappée de pourvoi.
Par une décision du 7 octobre 2022, (CE, sect. 7 oct. 2022, n° 443476), le Conseil d’État a élargi l’application du principe de rétroactivité de la loi répressive plus douce, ou rétroactivité in mitius, en déclarant qu’elle devait s’appliquer également lorsque la loi nouvelle est intervenue entre la décision frappée de pourvoi et la décision de cassation.
 
Dans cette affaire, une société contestait des amendes administratives et avait vu sa demande de décharge rejetée en première instance et en appel. Elle avait ensuite déposé une question prioritaire de constitutionnalité, qui avait donné lieu à l’annulation des dispositions contestées, puis à l’adoption d’une loi plus douce.
 
Déclaration d’inconstitutionnalité faisant suite à l’arrêt d’appel
 
Après la décision rendue par en appel, le Conseil constitutionnel avait déclaré inconstitutionnel l’article au fondement de la sanction contestée (Cons. const., 26 mai 2021, n° 2021-908 QPC). Il avait reporté au 31 décembre 2021 la date de l’abrogation des dispositions et précisé : « Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
 
Il aurait pu en découler que la décision du Conseil constitutionnel n’était pas applicable au litige. Toutefois, le Conseil d’État décidera de l’appliquer. Il annonce dans un premier temps : « alors même que la société requérante est l’auteur de cette question prioritaire de constitutionnalité, la déclaration d’inconstitutionnalité est sans incidence sur le présent pourvoi ».
 
Absence de méconnaissance par le juge de cassation de l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel
 
Dans ses conclusions, la rapporteure Céline Guibé a posé la question suivante : « Faire application du principe de rétroactivité in mitius lorsque le Conseil constitutionnel écarte la possibilité d’invoquer, dans les instances en cours,  l’inconstitutionnalité de la disposition législative abrogée ne reviendrait-il pas, en pratique, à  méconnaître l’autorité de la chose jugée par le juge constitutionnel ? » et répondu par la négative, considérant que le fait d’écarter la loi ancienne était lié à l’intervention d’une loi nouvelle et non à la censure du juge constitutionnel.
 
Le Conseil d’État vient rappeler le principe de rétroactivité in mitius et décide de l’élargir et de l’appliquer à la société requérante.
 
Il rappelle ainsi que « la loi répressive nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux auteurs d'infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des décisions devenues irrévocables », principe découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
 
Il rappelle l’application « classique » du principe, c’est-à-dire son application par les juges du fond : « il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction, de faire application, même d'office, d'une loi répressive nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue ».
 
Il élargit ensuite son application en annonçant que la loi répressive plus douce doit être appliquée par le juge de cassation : « Il en va de même pour le juge de cassation si la loi nouvelle est entrée en vigueur postérieurement à la décision frappée de pourvoi ».
 
Loi nouvelle est entrée en vigueur postérieurement à la décision frappée de pourvoi
 
Le principe de rétroactivité in mitius avait été posé pour les sanctions administratives en matière d’impôts dans un avis rendu par la section du contentieux en 1996 : « Dès lors qu'une contestation propre aux pénalités a été présentée au juge de l'impôt, il appartient à celui-ci d'examiner d'office s'il y a lieu de faire application de la loi répressive nouvelle plus douce ». La Haute cour avait précisé que le juge devait « se placer à la date à laquelle il statue » (CE, sect., avis, 5 avr. 1996, n° 176611, Lebon).
 
L’élargissement à l’application par le juge de cassation s’appliquait déjà de longue date en matière de loi pénale plus douce, le Conseil constitutionnel ayant, dans une décision Sécurité et liberté n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, censuré une loi qui prévoyait que la loi plus douce intervenue après un jugement au fond ne trouvait pas à s’appliquer en cassation. Rappelant cette décision, la rapporteure indique qu’il n’y a pas de raison de ne pas appliquer le même principe aux sanctions administratives qu’aux sanctions pénales, solution suivie par le Conseil d’État.
Source : Actualités du droit