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Parquet européen et justice pénale spécialisée : le texte adopté en première lecture par le Sénat

Pénal - Procédure pénale, Informations professionnelles
05/03/2020
Le Sénat a adopté en première lecture, le 3 mars 2020, le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Retour sur les principales évolutions.
318 voix pour et 3 voix contre : le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée adopté par le Sénat en première lecture est consensuel. C’est d’ailleurs ce que souhaitait Nicole Belloubet qui concluait ses propos lors de la séance publique en précisant que « je vous demande ainsi de bien vouloir adopter ce texte, en étant persuadée qu’il recueillera auprès de vous une très large adhésion ».
 
Déposé le 29 janvier 2019 sur le bureau du Sénat, le projet a pour objectifs principaux : « d’adapter notre législation à la création du Parquet européen et d’améliorer les dispositifs actuels concernant la justice pénale spécialisée nationale » comme l’a rappelé la ministre de la Justice lors de la discussion générale.
 
En effet, le titre Ier du texte adapte la législation française au règlement du Conseil européen du 12 octobre 2017 créant le Parquet européen. « La création de ce nouvel organe judiciaire européen constitue une étape supplémentaire dans le développement de l’espace judiciaire européen » insiste la ministre. Le titre II entend renforcer l’efficacité de la justice pénale spécialisée. Concrètement, il s’agit de consolider « l’efficacité et la cohérence des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la délinquance organisées, la délinquance économique et financière » continue la garde des Sceaux. Mais aussi, de créer un pôle spécialisé dans le contentieux environnemental dans le ressort de chaque cour d’appel. Le troisième et dernier titre comporte plusieurs dispositions diverses (v. Parquet européen et justice pénale spécialisée : encore un projet de loi bien fourni, Actualités du droit, 13 févr. 2020).
 
Le projet, qui a connu peu de modifications en première lecture, a tout de même évolué sur certains points.  Précisément, 53 amendements ont été déposés lors de la séance publique mais 7 seulement ont été adoptés (dont la grande majorité était des amendements rédactionnels). En revanche, en commission, 20 amendements ont été déposés et 19 ont été adoptés. Les plus grandes évolutions sont donc intervenues en commission.
 
Précisions sur les règles applicables aux procureurs européens délégués
 « S’agissant de la constitution du Parquet européen, disons-le d’emblée, les dispositions proposées sont prometteuses » a souligné lors de la discussion générale, Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois. Avec deux tempéraments : « la commission des lois a formulé deux propositions : il s’agit, d’une part, de préciser le moment où le parquetier devient juge d’instruction – si vous me permettez cette simplification –, et, d’autre part, de protéger les droits de la défense, en prévoyant notamment l’assistance par acte d’avocat ».
 
En effet, un amendement visant à mieux encadrer le pouvoir reconnu aux procureurs européens délégués de prendre des mesures d’instruction a été adopté. Il prévoit que le nouvel article 696-114 du Code de procédure pénale encadrant ce pouvoir, est rédigé ainsi : « Toutefois lorsqu’il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d’investigation qui ne peuvent être ordonnés qu’au cours d’une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature, le procureur européen délégué conduit les investigations conformément aux dispositions applicables à l’instruction, sous réserve des dispositions de la section 3 du présent chapitre » (TA Sénat, n° 283, 2019-2020, amendement n° COM-9).
 
Dans le cadre d’une instruction conduite par le procureur européen délégué, un autre amendement adopté vient modifier le futur article 696-129 en précisant les droits des personnes, à savoir « le droit d'être assisté par un avocat et celui d'avoir accès à l'intégralité du contenu de la procédure » (TA Sénat, n° 283, 2019-2020, amendement n° COM-10).  Deux garanties essentielles à l’exercice des droits de la défense, soutient Philippe Bonnecarrère.
 
Une exception au principe de spécialité des autorisations adoptée
Un autre amendement voté en commission prévoit une exception au principe de spécialité des autorisations. Il tend à autoriser le procureur de la République à donner des instructions générales aux officiers et agents de police judiciaire pour qu’ils puissent consulter des systèmes de vidéoprotection (TA Sénat, n° 283, 2019-2020, amendement n° COM-20).
 
Concrètement, il ajoute à l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale l’alinéa suivant : « Le procureur de la République peut, par la voie d’instructions générales prises en application de l’article 39-3, autoriser les officiers ou agents de police judiciaire, pour des catégories d’infractions qu’il détermine, à requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique, de leur remettre des informations intéressant l'enquête qui sont issues d’un système de vidéoprotection. Le procureur est avisé sans délai de ces réquisitions. Ces instructions générales ont une durée qui ne peut excéder six mois. Elles peuvent être renouvelées ».
 
L’interdiction de paraître dans un ou plusieurs réseaux de transport public remaniée
Trois amendements adoptés en commission (TA Sénat, n° 283, 2019-2020, amendements n° COM-16, n° COM-17, n° COM-18) portent sur la nouvelle peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics. La garde des Sceaux rappelle qu’il s’agit « de la reprise d’une disposition censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier dans la loi d’orientation des mobilités ».
 
Pour mémoire, le présent projet de loi créé cette peine complémentaire pour une liste limitée de crimes ou délits commis en état de récidive légale. L’interdiction ne peut s’étaler sur une durée de plus de trois ans.
 
Peine retouchée, les modifications concernent :
  • la délimitation plus précise des réseaux de transports interdits à la personne condamnée ;
  • la prise en compte des impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale de l’intéressé ;
  • la suspension ou le fractionnement possible, du parquet dans certaines circonstances ;
  • le début de l’interdiction à compter du jour où la privation de liberté a pris fin lorsqu’elle accompagne une peine privative de liberté sans sursis ;
  • l’inscription au fichier des personnes recherchées de l’identité des personnes concernées par cette peine complémentaire ;
  • la communication de l’identité de ces personnes aux personnes morales en charge d’une mission de transport collectif terrestre de voyageur ;
  • l’interdiction applicable aux mineurs de plus de seize ans, pour une durée maximale abaissée à un an.
 
Lors de la première lecture, la garde des Sceaux a estimé que, « amélioré par la commission », le texte « n’apparaît ni disproportionné ni inefficace ». Propos confirmé par le rapporteur qui avoue que « si, intellectuellement, (la peine) peut sembler curieuse dans sa structuration, nous verrons qu’elle correspond à des problèmes pratiques réels. Par ailleurs, les garanties prévues en termes de libertés me paraissent la rendre acceptable ».
 
Peu d’évolution en matière de justice environnementale
Le projet de loi entend mettre en place une justice pour l’environnement en prévoyant :
  •  une justice de proximité pour les affaires concernant la vie quotidienne des français ;
  • la création de juridictions spécialisées par ressort de cour d’appel pour les atteintes graves ou la mise en péril de l’environnement et les pôles nationaux pour les risques naturels majeurs.
 
Philippe Bonnecarrère tient tout de même à rappeler que « même si certains collègues souhaiteront transformer le débat en une sorte de réforme du droit de l’environnement, le texte n’a pas cette ambition ».
 
La matière, peu retouchée en commission et en séance publique, a tout de même connu des évolutions (v. Parquet européen et justice pénale spécialisée : peu de modifications par le Sénat en matière de justice environnementale, Actualités du droit, 26 févr. 2020).
 
La prochaine étape ?
Après avoir été adopté le 3 mars 2020 par le Sénat, le projet sera examiné par l’Assemblée nationale. Navette parlementaire attendue par la garde des Sceaux, des évolutions étant à prévoir tant sur le périmètre du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice que sur les sanctions en matière environnementale. A suivre …
Source : Actualités du droit